12 janvier > Nouvelles Irak > Hassan Blasim

Le photographe américain Joel-Peter Witkin est célèbre pour ses mises en scène macabres : natures mortes avec têtes coupées ou membres sevrés de corps humains récupérés à la morgue. Dans "L’exposition des cadavres", la nouvelle qui ouvre le recueil d’Hassan Blasim Cadavre expo, une grande entreprise de production d’"œuvres d’art" pousse plus loin encore le bouchon de la morbidité esthétique : les sujets exposés (les victimes appelées "clients") sont des personnes mises à mort pour des "sculptures" de macchabées. Les artistes recrutés de force par l’entreprise n’ont guère le choix que de s’exécuter et exécuter. "Le clou", l’un des artistes, qui avait cru pouvoir éluder la difficulté en remplaçant le client par quelqu’un de déjà mort, s’est retrouvé lui-même exposé comme œuvre : il a été dépecé et son enveloppe corporelle flotte au vent tel un étendard. Le ton est donné à ces quinze nouvelles où l’absurde le dispute à l’inhumain. Relatées par une voix d’outre-tombe - antihéros tombé au front, assassiné par la milice, déchiqueté par une bombe -, elles se déroulent en Irak, à la fois théâtre de véritables atrocités et métonymie des misères de la guerre.

Des romans rédigés sur des cahiers d’écolier et signés du même soldat inconnu inondent la rédaction du Journal des armées, de sublimes "histoires d’amour et de sperme" qui ne parlent jamais de conflit ; des couteaux s’évanouissent comme par enchantement ou des lapins pondent des œufs ; un ancien nettoyeur de scènes d’attentats irakien exilé à Amsterdam prend un nom non pas arabe, mais de basané quand même : Carlos Fuentes… Malgré la noirceur, chez l’écrivain et cinéaste né à Bagdad en 1973 et résidant en Finlande depuis 2004 (ses livres sont censurés dans les pays arabes), la beauté surréaliste et l’humour ne sont pas en reste. C’est Kafka meets Lautréamont, ou Gogol en Irak. Et dans le malheur on surprend, qui coule, une larme de tendresse. Car même si l’écriture ne rédime pas la barbarie, elle témoigne parfois d’un reliquat d’humanité. Le doux "Messie au chewing-gum", "Daniel le Chrétien", se fait exploser dans un restaurant de kebab pour sauver sa vieille mère.

Sean J. Rose

16.12 2016

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