19 avril > Roman Irlande > Eimear McBride

Au début de l’automne 1994, Eily, 18 ans, débarque d’Irlande à Londres pour étudier l’art dramatique. Elle rencontre Stephen, un acteur connu, qui a vingt ans de plus qu’elle. Entre la jeune fille vierge, débutante en tout, et cet homme tourmenté va brûler pendant quelques mois une histoire d’amour et de sexe, de passion et d’initiation. Une classique romance érotique? Pas racontée par l’Irlandaise Eimear McBride, révélée avec Une fille est une chose à demi (Buchet-Chastel, 2015), un premier roman furieux qui a valu à son auteure, qui avait mis neuf ans avant de trouver un éditeur, des louanges assorties d’écrasantes comparaisons.

Les saltimbanques ordinaires est un peu différent dans la forme: s’il reste cru et à vif, la langue y est un peu moins chaotique mais relève une nouvelle fois le défi d’être en prise directe avec la voix intérieure de son héroïne narratrice, de sauter d’une pensée à l’autre, sans analyse, ni synthèse, de chercher à dire la pure sensation. Le monologue d’Eily, les dialogues entre les deux amants, l’histoire traumatique que lui confie Stephen mettent le corps en mots. Pour cela, la romancière bouleverse la syntaxe, figure littéralement les silences par des espaces blancs sur la page pour s’approcher au plus près de ce qui se joue physiquement. Le sexe, y compris l’abusif, l’incestueux, déjà présent dans le premier roman, est à la fois explicite et sans naturalisme. Si le milieu du théâtre dans le Londres du milieu des années 1990, bien connu de l’apprentie comédienne qu’a été Eimear McBride, sert de toile de fond, l’autre personnage de l’histoire est la ville, excitante, "impie", festive et alcoolisée. Elle s’offre à cette jeune femme venue de son île périphérique - être irlandaise dans la capitale anglaise dans ces années-là donne un statut d’étranger associé à la violence politique, et en ce sens, c’est aussi le roman d’une époque. Pourtant, "je suis ici et ici c’est chez moi", se dit Eily quand elle arrive dans sa première chambre. Ici, dans les pubs et dans d’autres chambres modestes, où elle va se dénuder, se dévêtir de son innocence pour accueillir à son tour toutes les expériences. Car rien ne peut résister à l’appel d’une vie libre et de cet "amour impitoyable". V. R.

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