7 septembre > Roman France > Julia Deck

Ce n’est pas parce que l’on connaît bien Julia Deck, familière collaboratrice de Livres Hebdo, que l’on va se priver de tresser les louanges de son troisième roman, vraiment réjouissant. Après Viviane Elisabeth Fauville (2012), Le triangle d’hiver (2014), sa rigoureuse fantaisie romanesque, sa maîtrise des montages narratifs sophistiqués s’épanouissent dans cette fiction clin d’œil à la littérature de genre, vrai faux roman d’espionnage qui imagine, dans une Suisse opulente où il pleut tout le temps, un aussi sérieux que délirant complot international visant le monde de l’art.

Sigma est une agence internationale du renseignement d’un type particulier. Une sorte de NSA chargée de la surveillance et du contrôle de la création et des idées. Les missions de ses espions professionnels : surveillance rapprochée de personnalités influentes, neutralisation des "idées dommageables à la cohésion civile", "harmonisation des pensées" par travail de sape, sabotage et trafic d’influence… Les agents sous couverture sont affectés par "l’Organisation" à des postes apparemment subalternes, mais totalement stratégiques, d’assistants personnels polyvalents, fonctions à la définition extensible qui intègre au statut de secrétaire particulier celui de chauffeur, cuisinier, baby-sitter, confident, souffre-douleur. Leurs "cibles", des personnages en vue de différents milieux connectés : le couple Lestir, Elvire et Lothaire, elle galeriste à Genève, lui chercheur en neurosciences à Lausanne, spécialiste des fondements neurologiques de la sexualité, Pola Stalker, la sœur d’Elvire, actrice à succès basée à Paris, et Alexis Zante, un banquier collectionneur d’art contemporain en instance de divorce.

Au centre des convoitises de ce petit cercle, une grande toile abstraite prétendument détruite du peintre Konrad Kessler (1887-1955) dont la réapparition inquiète l’Organisation, qui met en place une opération de neutralisation de son "potentiel subversif" par des moyens pour le moins inhabituels.

Si les premières pages demandent un peu d’attention pour se repérer dans cette galerie de personnages aux noms soigneusement évocateurs, Julia Deck vous fournit utilement, comme dans une pièce de théâtre, la distribution des rôles, au début du roman. On se délecte ensuite de sa façon synthétique de camper les protagonistes pourtant tous très incarnés, d’épingler mine de rien les impostures, les vanités et les snobismes, le conformisme encadré, la langue de bois et "les éléments de langage" de chaque milieu dont elle décode cruellement les mœurs. C’est malin, spirituel et chic. Plus affranchie de son dispositif scénaristique, Julia Deck a lâché la bride de sa redoutable imagination, mais la dérision est toujours aux manettes. Et on sent qu’elle s’est beaucoup amusée à tirer les ficelles de son petit théâtre de marionnettes. Cible avertie et consentante, on se laisse manipuler sans aucune résistance.

Véronique Rossignol

30.06 2017

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