Le long compagnonnage entre Paul Cézanne (1839-1906) et Emile Zola (1840-1902) est, selon l’universitaire Henri Mitterand, auteur d’une magistrale biographie de l’écrivain, une "belle histoire", qui a été ternie par des malveillants, des faux témoignages ou des critiques mal informés. La "vulgate" a, en particulier, acté la "rupture" entre les deux amis d’enfance en 1886, après que Cézanne se serait reconnu dans Claude Lantier, le héros de L’œuvre de Zola, présenté sous un jour peu favorable (euphémisme). Leur correspondance se serait arrêtée net. Quant au "cher Emile", il aurait détruit les lettres de son "cher Paul".
Mitterand, maître d’œuvre de l’ouvrage - qui n’est pas seulement la remise en lumière de leur Correspondance, croisée pour la première fois, mais, prologue, longues introductions à chaque partie, par ordre chronologique, épilogue à l’appui, constitue un essai à part entière -, a décidé de remettre les pendules à l’heure. Il entend tordre le cou à quelques idées reçues, colportées par tel biographe qu’il a manifestement dans le nez. Enthousiaste, l’éditeur n’est pas pour autant aveugle : il reconnaît qu’après le milieu des années 1880 la relation entre Cézanne et Zola prend de la distance, bien loin de la fraternité des débuts, de l’attention mutuelle portée ensuite à leurs œuvres. Eloignement aggravé par l’engagement de Zola en faveur de Dreyfus. L’écrivain, "immigré" à Aix, orphelin d’un père vénitien qui a laissé sa famille criblée de dettes, s’est retrouvé du côté du "paria". Tandis que le peintre, aixois pur sang, fils de banquier, fit un retour à la religion catholique, et s’engagea aux côtés des "antidreyfusistes et antijuifs".
Henri Mitterand étaie sa démonstration par des faits incontestables : l’existence même de leurs 115 lettres prouve que Zola, la méthode faite homme alors que son ami était bien plus désordonné, n’a pas brûlé les lettres de Cézanne. Quant à la dernière lettre du volume, retrouvée seulement en 2013, elle est datée du 28 octobre 1887, après l’envoi de La terre. Elle démontre que les deux amis étaient restés en contact après leur prétendue "rupture" : peut-être existe-t-il, quelque part, d’autres lettres postérieures, inédites. J.-C. P.