7 septembre > Essai France

"Est beau ce qui plaît universellement et sans concept." Pour Alexis Jenni, amoureux et esthète, la formulation kantienne demeure sans doute quelque peu abstraite : la beauté, c’est l’amour même que l’on porte pour l’être qu’on aime. Son nouveau livre, Dans l’attente de toi, est l’éloge d’un amour très subjectif et fort incarné. Un homme - l’auteur - évoque la femme qu’il aime comme le poète invoque la muse, il chante ses courbes, son allure, sa peau. Il se remémore leur rencontre, la première nuit et les suivantes. En son absence, il cherche ses mots pour dire tout le manque et tout le désir. Car celui qui écrit et décrit n’est pas tant celui qui traduit aisément le réel grâce aux mots que celui à qui le lexique fait défaut, et dont le tâtonnement est le propre de l’écriture : "Mais je m’obstine, car le langage est ma vie et le manque de langage me tue : je veux contraindre la langue à dire ce qu’elle ne sait pas, et qui me manque. […] Je veux arriver à dire que tu es belle à toucher." Et fusionnant sa passion pour son amante et celle pour la peinture, l’écrivain invite ses tableaux préférés à s’exprimer pour lui.

Si l’art est visuel, il est surtout tactile, car il touche, fait vibrer les sens jusqu’à la pulpe des doigts. Maîtres anciens (un primitif flamand, anonyme proche de Colijn de Coter, Titien, Rembrandt) et modernes (Rodin, Picasso, Bacon) se font le truchement de ses sentiments. Au détour de leurs biographies il raconte la sienne propre. L’histoire de l’art et l’art des histoires s’enchevêtrent pour notre plus grand bonheur. On a des éclairages sur son enfance : une mère à l’amour prude et qui mettait le corps à distance même avec son fils ; sur ses phobies : la peur du vide, le vertige déjà évoqué dans un précédent livre qui le saisit comme à l’envers au cœur de la forêt de gratte-ciel new-yorkaise.

Devant ce nu lumineux de Bonnard, Le cabinet de toilette au canapé rose, où la compagne de l’artiste dans la plénitude de ses formes se tient face à la fenêtre, il voudrait sa douce moitié près de lui. Dans cet autre tableau, "La nudité absolue" : Le bœuf écorché de Rembrandt, "ce grand spectacle pornographique de la souffrance","catastrophe flamboyante d’une chair sauvagement réduite à sa seule sensibilité", il remarque la servante et maîtresse du peintre figurée dans un coin du tableau : avec Hendrickje, le veuf est vivant. "Et ainsi tes caresses sur ma peau, et c’est le cercle de tes bras qui me donne mes contours."

Dans Son visage et le tien (Albin Michel), Alexis Jenni racontait sa relation très personnelle à Dieu ; ce livre illustré est un parfait contrepoint, mais le spirituel et le charnel ne font qu’un pour qui croit au Vivant. L’amour profane est encore l’Amour, qui est divin. Pour Jenni, c’est avec Dieu et maîtresse. Sean J. Rose

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