Son nom ne vous dit peut-être rien, pourtant il fait partie de l’univers visuel de tous les professionnels du livre. Philippe Apeloig, qui est au cœur d’une rétrospective aux Arts décoratifs de Paris du 21 novembre au 30 mars, a créé le logo d’Odile Jacob, l’identité visuelle de la collection «Pavillons poche» chez Robert Laffont, du Serpent à plumes, de certains titres des Puf ou de Phaidon, il a designé le célèbre livre-cube Louvre de La Martinière, les affiches de la Fête du livre d’Aix-en-Provence et toutes les communications de l’Association des bibliothécaires de France.
Ce graphiste-typographe évolue essentiellement dans la sphère culturelle depuis près de trente ans. «Aux Pays-Bas, tout le monde connaît le nom des graphistes, c’est l’équivalent des créateurs de haute couture. Il y a en France une carence de culture graphique», raconte ce svelte quinqua qui a fait ses premières armes dans le studio néerlandais Total Design. «La culture française est certes une culture de l’écrit, mais pour son sens, pas pour sa forme. Depuis des siècles, les créateurs les plus respectés sont les écrivains et non les peintres, contrairement aux Pays du Nord où les primitifs flamands, par exemple, ont eu un réel impact sur la société.»
La typographie comme une chorégraphie
Perpétuant la tradition d’exigence conceptuelle du «style suisse», Philippe Apeloig s’est fait connaître avec la célèbre affiche «Chicago» pour le musée d’Orsay en 1987, emblématique de sa patte, puisque son sens est porté par les caractères d’imprimerie : le mot «Chicago» prend un virage à angle droit entre les gratte-ciel. Pour lui, la typographie est sa «matière première». C’est pourquoi l’exposition et le livre qui paraît aux éditions des Arts décoratifs portent le titre Typorama. «J’utilise très peu la photo car je considère l’illustration trop narrative. Ce n’est pas parce qu’il y a une jolie image que c’est beau !» Depuis six ans, il prépare cette monographie qui fut la matrice de l’exposition. Avec Tony Grass, l’initiateur du projet, il a classé ses archives pour dévoiler les coulisses de ses créations et ses sources d’inspiration, provenant de l’art, du cinéma et de la danse, qu’il a pratiquée de nombreuses années. Là où le lecteur lambda voit de simples lettres, cet amateur de Pina Bausch et de Merce Cunningham envisage les caractères typographiques comme un corps chorégraphié. «On perd l’habitude de voir la beauté des lettres, émerveillement qui revient quand on se retrouve face à d’autres alphabets en Asie ou au Maghreb. Les écritures sont chargées de sens. Et souvent les constructions typographiques sont des instruments de pouvoir, il n’y a qu’à voir Napoléon qui imposa les didones ou le nazisme avec les caractères gothiques.» Philippe Apeloig a une culture extrêmement vaste, s’instruisant en profondeur sur chaque sujet qu’il traite - de l’avenir des bibliothèques à l’œuvre du prix Nobel de littérature Wole Soyinka. Lui qui a grandi à Vitry-sur-Seine, dans le magasin de réparation d’électronique de ses parents, qui a nourri son imaginaire grâce «à la bibliothèque et aux cours municipaux», ne cesse depuis d’apprendre et de se documenter. Sa volonté aujourd’hui est de transmettre et il insiste pour que la jeune génération s’empare de son travail, ayant confié la conception du livre à Anna Brugger et le montage de l’exposition à Yannick James, ses assistants au studio. Et s’il avait un conseil à donner aux jeunes graphistes : «Notre rôle est d’inventer au service d’un besoin. Il faut écouter ce qu’on nous demande et savoir désobéir pour mieux répondre à la commande.»
A l’ABF, la police c’est lui
En 2006, pour les 100 ans du congrès de l’Association des bibliothécaires de France, Philippe Apeloig s’occupe de son identité visuelle. Il conçoit une typographie originale, nommée «ABF», métaphore du mobilier modulaire et multifonctionnel que l’on trouve dorénavant dans les bibliothèques. Il la décline au fil des congrès en trois versions : l’ABF petit, l’ABF silhouette et l’ABF linéaire. Une fonderie suisse, Nouvelle noire (1), vient d’ailleurs de développer et de commercialiser les dix polices de caractères que le graphiste a inventées dans sa carrière. Ci-dessus, l’affiche et l’alphabet pensés pour le congrès de 2010 qui avait pour thème l’économie. Les lettres sont dessinées uniquement par leurs contours, en fines lignes, ce qui explique pourquoi cette typographieè a été baptisée «ABF linéaire», et les zéros ainsi que les «o» ont été transformés en diagrammes circulaires, rappelant les camemberts utilisés dans les infographies d’économie.
(1) nouvellenoire.ch