Avant de devenir directeur général du SNE, quelles étaient vos relations avec le syndicat ?
Depuis 2008, je représentais Editis au Bureau du SNE avec Alain Kouck et j’étais trésorier du Syndicat. Je connaissais certains dossiers, mais pas forcément l’équipe des permanents. En 2008, je suis également entré à la Fédération des éditeurs européens (FEE) et dans le comité exécutif de l’Union internationale des éditeurs (UIE). En 2012, je suis devenu vice-président de la FEE. J’ai été élu à l’unanimité, et je suis devenu président en 2014 jusqu’à fin juin 2016. Dans ce type d’institution, on est d’abord vice-président et, si tout se passe bien, on devient président.
Je connaissais déjà Catherine Blache, la responsable des relations institutionnelles internationales du SNE. Avec elle, on a participé aux négociations avec la Commission européenne, le Conseil européen, le Parlement, tous les textes qui touchent au livre ou au droit d’auteur. La voix de la France est très importante à la FEE. J’ai renoué avec les Thalys de 7 h 13 et 7 h 43… parfois même je revenais à l’heure du déjeuner pour assurer mes rendez-vous de l’après-midi. On a mené pendant des années le combat qui a débouché sur la directive européenne sur le droit d’auteur votée en 2019 au Parlement européen. On avait beaucoup travaillé avec les autres industries culturelles, et on est parvenus à avoir une vision commune unanime. Ça a été un moment extrêmement intense, le vote a été gagné de 5 voix sur plus de 700 députés ! L’émotion a été très grande ! Je ne suis pas sûr que tout le monde comprenait les enjeux considérables de cette directive européenne et le poids de l’Europe sur la filière du livre. Nous avons dû beaucoup expliquer. Tout ne pouvait être gratuit !
Les pays de l’Est n’étaient pas forcément d’accord, les Scandinaves avaient leur modèle, mais c’était assez mélangé. En France, on est parvenu à convaincre La France insoumise ; nous avons rencontré, au Salon du livre, Mélenchon, Bompard, Manon Aubry. On leur a expliqué longuement, avec Catherine Blache et François Gèze. Alors que les écologistes étaient contre, plus sur des questions liées aux plateformes.
Durant votre mandat au SNE, vous avez également mené les discussions avec les auteurs ?
Je mettais un point d’honneur à rétablir la confiance entre les auteurs et les éditeurs. Et je reconnais que je n’ai pas complétement réussi. J’ai dit que nous ne reviendrions pas sur le modèle d’évolution des rémunérations, et ça ne m’a pas forcément rendu populaire. C’est le seul objet sur lequel nous ne voulions pas négocier, c’est le point de vue d’une large majorité des éditeurs. C’était un profond désaccord avec les associations représentatives des auteurs, même si les débats ont toujours été courtois. D’ailleurs, les représentants des auteurs sont venus à mon pot de départ, ce qui m’a beaucoup touché.
Ils dénoncent un mouvement de baisse de rémunération sur le long terme. Ce n’est pas un problème central, d’après vous ?
Il y a un effet mécanique, du fait que le tirage et la vente moyenne ont baissé. Cela a un effet direct sur la rémunération des auteurs. Pourtant, on ne publie pas plus de livres, et on assiste même à une petite baisse des parutions. Il y avait un certain nombre de choses à régler avant de parler de chiffres. On en a réglé beaucoup, un accord a été signé le 20 décembre 2022, et depuis, les discussions ont repris sous l’égide du Ministère de la culture.
Sous l’égide du ministère de la Culture… ce qui prouve que le climat n’est pas complètement apaisé ?
Il n’y a pas de tabous : on peut parler d’absolument tout, dans la confiance, mais il ne faut pas que le système s’effondre. Il y a ce que peut faire un éditeur et ce qu’il ne peut pas faire. En réunion, les représentants des auteurs disaient : « On veut 10 % au lieu de 8. » Mais les 10 % du prix public hors taxes dont ils parlent, pour l’éditeur, cela n’existe pas. Du chiffre d’affaires de l’éditeur il faut déduire les coûts de la diffusion, de la remise faite aux libraires et les coûts de la distribution, qui représentent un peu plus de 50 %. Donc les 10 % en question, c’est 21 ou 22 % pour l’éditeur. La différence est bien souvent plus importante que la marge de l’éditeur. Dans les réunions, lorsque je leur expliquais ça, ça les faisait hurler. Il y avait de la pédagogie à faire, et je l’ai faite. Il y a aujourd’hui un niveau de compréhension plus élevé. Nous parlons avec le Conseil permanent des écrivains, la Ligue des auteurs professionnels… Ils se sont professionnalisés, ont des idées, des objectifs ; nous devons discuter, dialoguer.
Et les petits éditeurs se sont organisés également avec la Fédération des éditeurs indépendants, présidée par Dominique Tourte. Ils proposent un modèle d’édition différent, mais pas incompatible. On peut travailler ensemble sur une même base juridique.
Vous êtes donc optimiste quant à l’évolution de la relation auteurs-éditeurs ?
Il y a notamment un point de friction sur la littérature jeunesse. Sur ce dossier, on peut faire bouger un peu les lignes. Faire que la rémunération ne descende pas en-deçà d’un certain seuil. Mais de manière plus générale, à l’intérieur des maisons, ça se passe très bien. C’est au niveau de l’interprofession qu’il y a des évolutions sociales qu’il faut accompagner. Trouver des accords, faire des améliorations. Sur la transparence, nous avions pas mal de boulot. Nous avons toiletté les contrats fin décembre 2022. L’envoi des comptes deux fois par an au lieu d’une seule est un pas important. Le booktracking, qui permettra de connaître les ventes réelles en direct, est le pas suivant dont Vincent Montagne est le promoteur enthousiaste.
Comment se déroule la collaboration entre un directeur général du SNE comme vous et un président du SNE comme Vincent Montagne ?
C’est un tandem. Mon souci était de disposer d’une large autonomie, tout en ayant l’appui du Bureau et du président… Il est extrêmement impliqué ; on ne se voyait pas tout le temps, mais on échangeait constamment. On a développé une forte complicité puisqu’on avait des visions très proches.
Ce qui était frappant lors de votre pot de départ, le 9 mai dernier, c’est le nombre impressionnant d’éditeurs et d’autres acteurs de la chaîne du livre qui avaient tenu à être présents.
J’ai toujours maintenu une grande proximité avec les éditeurs, y compris ceux qui ne sont pas impliqués dans les instances du SNE comme Olivier Nora, Muriel Beyer, Héloïse d’Ormesson ou Véronique Cardi. J’ai ressuscité la commission Littérature générale et demandé à Muriel Beyer de la présider, et j’ai voulu rendre les assemblées générales plus féminines avec plus de femmes présidant des Groupes ou des Commissions. À mon pot de départ, ils étaient tous là : Antoine Gallimard, Michèle Benbunan, la directrice générale d’Editis, Fabrice Bakhouche, celui d’Hachette, Francis Esménard,… Philippe Robinet, directeur général de Calmann-Lévy et président de la Scelf, avec lequel il y a quelque chose qui s’est construit au fil des années – une amitié, un respect. C’est la même chose avec la direction du BIEF, mais également avec les professionnels des droits, de la fabrication, les papetiers, les imprimeurs, les compositeurs, qui sont également venus parce que j’ai noué des relations avec eux tout au long de ma carrière.
Vous continuez à oeuvrer pour le SNE (à la commission en charge des Adhésions). Vous n’avez plus d’envie d’édition ?
Oh que si ! J’ai rejoint le Labo des histoires, créé il y a une douzaine d’années par Philippe Robinet. Il s’agit de 2 500 ateliers d’écriture touchant 28 000 enfants par an, dans toute la France et les DOM-TOM. L’écriture, toujours l’écriture ! J’ai rejoint le bureau, je m’occupe des finances… me revoilà trésorier ! Parallèlement, on réfléchit avec un certain nombre d’éditeurs et le SNE aux métiers de l’édition de demain. Et aux formations qu’il faudrait mettre en place. Les métiers qui émergent, ceux qui disparaissent, le rôle de l’IA, comment cibler les bonnes personnes… Et je garde le contact avec plusieurs éditeurs pour développer des projets éditoriaux. Alors…
Vous avez connu plusieurs générations d’éditeurs : les éditeurs issus du sérail ou autodidactes, les gestionnaires dont vous faites partie, et aujourd’hui, ceux formés à l’édition par des cursus spécifiques. Quelles sont les qualités et les défauts des uns et des autres ?
Ce n’est jamais aussi carré que ça. Tout éditeur est obligé d’être un gestionnaire s’il veut avoir une autonomie éditoriale. Georges Léser, Leonello Brandolini, Jean-Claude Fasquelle, Claude Durand, Olivier Orban, Xavier de Bartillat étaient des éditeurs vraiment éditeurs, mais également de bons gestionnaires. J’ai beaucoup appris avec eux… Ils incarnaient et vivaient leur profession. Le changement de modèle, l’augmentation des coûts fait que les aspects de gestion sont plus prégnants. Il faut tenir compte des préoccupations juridiques, économiques, sociales. Mais il y a quand même des maisons qui se créent, dont beaucoup restent proches d’un groupe pour un certain nombre de fonctions (la diffusion, la distribution, la fabrication…).
La nouvelle génération n’a-t-elle pas des défis nouveaux à relever ?
Il existe aujourd’hui des masters de qualité, et l’édition ne s’y trompe pas. Elle recrute dans ces masters et ces BTS. Celles et ceux qui arrivent aux responsabilités aujourd’hui viennent pour beaucoup de ces formations. On les a pris en stage il y a quelques années et ils ont évolué.
Mais ce qu’il y a de commun à toutes les générations d’éditeurs, c’est qu’il faut aimer l’écrit et aimer les auteurs. Sinon, il faut faire un autre métier. Il faut considérer les auteurs, les admirer et toujours être transparents. Un auteur est un auteur, quel que soit ce qu’il crée. Il faut croire dans la diffusion des idées, quel que soit le format et le public : la fiction, les essais, la littérature jeunesse, la BD, le manga, le webtoon aujourd’hui. Les maisons d’édition doivent s’intéresser à toutes ces formes avec la même exigence. Un vrai éditeur est un peu capable de tout faire. Je sais fabriquer un livre, discuter avec un auteur, travailler un texte et faire le maximum pour que ce livre soit un succès. Après, un bestseller ne se décrète pas !
Il faut être persévérant, dur au mal. Le succès ne vient pas tout de suite, mais si l’on sait un peu faire, que l’on sait s’entourer, ça finit par marcher…
La situation économique (inflation, hausse des matières premières, atonie de la demande…) préoccupe aujourd’hui beaucoup d’acteurs de la chaîne du livre.
Cela oblige tout le monde à réfléchir, à chercher des modèles nouveaux. Quand je regarde les Trophées de l’édition de Livres Hebdo, je vois que ce sont des maisons assez jeunes qui remportent les prix de l’innovation, de la qualité… C’est réjouissant : on croit qu’on a déjà eu toutes les idées, mais non, il en reste autant à défricher et promouvoir. Lors du Festival d’Angoulême, la Ligue des auteurs professionnels que dirigent Frédéric Maupomé et Stéphanie Le Cam avait organisé une table ronde sur l’intelligence artificielle. Avec Vincent Montagne et Renaud Lefebvre, mon successeur à la direction générale du SNE, nous y avons participé et on a lancé une discussion qui continue. Ça ne sert à rien de faire deux fois le même travail séparément, chacun de son côté. Face à la question de savoir qu’est-ce qui est propriété de qui, quelles professions sont menacées, nous devons être soudés, jouer collectif. Pour encadrer, pas forcément pour empêcher. La liberté d’expression et de publication est à ce prix.