Roue libre, livre tout à fait surréaliste de Pierre Alechinsky, est paru pour la première fois en 1971, dans la mythique collection "Les sentiers de la création", que dirigeait Gaëtan Picon chez Albert Skira. "Mais, se souvient l’auteur, la maison connaissait déjà des difficultés, et le livre n’a pas été vraiment diffusé. Quant aux exemplaires de tête, pour lesquels j’aurais dû réaliser une gravure, ils n’ont jamais vu le jour. C’est la seule fois, parmi tous mes livres." Autre problème, la qualité technique des volumes. A cela Alechinsky, amoureux de l’objet livre et fier d’avoir commencé sa carrière comme typographe, ne pouvait se résoudre. Il a donc décidé, moderne Sisyphe, de rouler derechef sa pierre, et de concevoir un Roue libre à la fois conforme à l’original et entièrement nouveau. Tout s’est fait dans son atelier, maquette, composition, et mise en couleurs des illustrations qui devaient l’être. Il a rajouté aussi, à la fin, une belle lettre manuscrite de Roger Caillois, où il est question, entre autres, d’André Breton.
En 1971, Breton venait de mourir (en 1966). Mais sa veuve Elisa vivait toujours, et habitait l’atelier du 42, rue Fontaine, ce grenier des merveilles, ce prodigieux cabinet de curiosités que le grand surréaliste s’était constitué patiemment. Le catalogue de la dispersion navrante de ses collections, en 2003, dans l’apathie générale, est constitué de pas moins de huit volumes. Et un pan de mur, seul, exposé à Beaubourg, permet à l’amateur d’aujourd’hui de rêver à ce qu’était l’original.
Roue libre, livre d’artiste, commence justement dans l’atelier de Breton, qu’Alechinsky avait connu dans les années 1950, à son arrivée à Paris, et où il se rend pour faire des dessins. Et s’achève à New York, dans un autre atelier, celui du peintre chinois Walasse Ting. Tout le symbole d’une inlassable curiosité, et d’une ouverture sur tous les mondes, dont l’œuvre du peintre-écrivain s’est nourrie. Entre les deux, Alechinsky aura évoqué Giacometti, Max Ernst, Butor, Michaux (ce "crypto-guide"), ses amis de Cobra, à qui il est toujours demeuré fidèle, quelques-uns de ses voyages, ou encore la musique et la flûte traversière, dont il jouait alors. Il est aussi question de ses fils, Nicolas, devenu sculpteur, et Ivan, l’aîné, écrivain-anthropologue.
Même si tous ces grands maîtres du XXe siècle sont morts, leur œuvre demeure. Et Alechinsky rappelle que c’est Picasso qui a trouvé pour Skira le titre de la collection "Les sentiers de la création". Mais c’est lui, Pierre Alechinsky, qui fut le premier peintre à y signer un volume, aujourd’hui restitué dans son intégrité. Une redécouverte. Jean-Claude Perrier