13 mars > Essai France

Les intellectuels ont vu l’Europe s’effondrer dans les années 1930. Certains, comme Edmund Husserl, Marc Bloch ou George Orwell, ont pris la mesure de cette chute. D’autres en ont profité, pensant bâtir leur œuvre sur ces prévisibles ruines. Dans trois conférences prononcées à la BNF en 2002, Jorge Semprún (1923-2011) s’était intéressé aux premiers, à ceux dont la lucidité fut la blessure la plus rapprochée du Soleil.

En s’appuyant sur ces trois personnages auxquels il faut ajouter Robert Musil, Sigmund Freud et Jacques Maritain, le penseur catholique qui avait envisagé comme sortie de crise une Europe et une Allemagne fédérales, l’auteur de L’écriture ou la vie s’adonne à un brillant cours de politique. Le ton oral, préservé dans ces transcriptions, ajoute à l’accessibilité du propos. On y entend la voix calme et mesurée de Semprún, son goût pour les incises et son humour qui lui fait dire qu’il n’y a plus que dans les films de Ken Loach qu’on voit encore des ouvriers… La littérature n’en parle plus depuis longtemps.

Semprún est beaucoup moins indulgent avec la capitulation des démocraties et des élites face à la barbarie hitlérienne. Voilà pourquoi il considère L’étrange défaite de Bloch, A travers le désastre de Maritain et A l’échelle humaine de Léon Blum comme des « monuments démocratiques », des livres inspirés dont on devrait continuer de s’inspirer.

Jorge Semprún- Photo OLIVIER ROLLER/CLIMATS

La crise que subit l’Europe aujourd’hui n’est certes pas comparable. Mais on ne peut s’empêcher de faire cet aller-retour historique, et la manière de Semprún s’y prête fort bien. Dans sa conférence de 1935, Husserl conseillait à cette Europe de retrouver le sens de son histoire, sa figure spirituelle et le sens de son avenir. Ces recommandations n’ont rien perdu de leur acuité au XXIe siècle.

A sa façon, Semprún, l’homme déporté à Buchenwald, le militant communiste, l’homme qui croit en la culture, en appelle à la lutte intellectuelle comme moyen de résoudre les conflits. Pour lui, comme pour les trois auteurs sur lesquels il s’appuie et qu’il commente avec justesse, le véritable héroïsme, c’est la raison. L. L.

 

 

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