14 novembre > Roman Pologne > Piotr Pazinski

C’est un lieu hors du temps. S’y croisent les fantômes du souvenir et ceux du grand massacre. C’est, non loin de Varsovie, et au milieu d’un parc arboré, une pension de famille, un asile pour exilés, d’abord d’eux-mêmes, de leur propre histoire. Le narrateur de Pension de famille, le premier et impressionnant roman du Polonais Piotr Pazinski, y revient bien des années après y avoir passé son enfance, bien des années aussi après le génocide qui en a décimé nombre de ses membres. Bien sûr, à l’appel des morts nul ne répond jamais, mais si le visiteur ne retrouve pas plus sa grand-mère Bronka avec laquelle il passait ses vacances que la plupart de ses coreligionnaires d’alors, d’autres se tiennent là comme s’ils l’avaient attendu de toute éternité. Il y a Tecia et Mala qui poursuivent entre elles un dialogue sans cesse interrompu, le docteur Kahn, Léon jamais tout à fait remis d’un voyage en Sibérie et Abram qui n’attend plus personne des siens disparus à jamais. Tous répondent à l’appel de la mémoire du narrateur : morts ou vifs, morts et vifs.

Curieux livre en vérité que ce Pension de famille qui ne parle que de mondes engloutis et de passés qui ne passent pas, de mort et de transfiguration, et le fait avec une très intrigante allégresse mezzo voce. C’est tout le mérite (et plus, le talent) de Piotr Pazinski que de parvenir ainsi à tenir cette note paradoxale où l’élégance le dispute à la mélancolie et à une ironie discrète. Ses héros comme déjà basculés dans l’oubli ne se laisseront pas oublier. Il y a dans ces pages quelque chose de Bruno Schulz autant que de Milosz. Le chant du souvenir, la présence des morts, l’écriture encore et toujours, après Auschwitz et avant que ne tombe la nuit. O. M.

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