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Retour aux sources

La galerie d’exposition des illustrateurs. - Photo bolognafiere

Retour aux sources

L’exposition des illustrateurs, du 25 au 28 mars à la Foire du livre de jeunesse de Bologne, a souligné l’appétence renouvelée des créateurs pour les techniques traditionnelles, même s’ils utilisent aussi en appui les nouvelles technologies. Un mouvement qui accompagne stylistiquement une grande vague « vintage ».

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Par Claude Combet
avec Créé le 11.10.2013 à 19h29 ,
Mis à jour le 11.10.2013 à 23h52

On aurait pu croire qu’en 2013 les dessins réalisés à l’aide d’Illustrator, Designer, Paintshop ou Photoshop domineraient le paysage de l’édition enfantine. Contre toute attente, c’est la tendance inverse qui domine si l’on en croit la traditionnelle exposition des illustrateurs présentée à la Foire internationale du livre de jeunesse de Bologne, du 25 au 28 mars. On assiste à un retour aux techniques anciennes, avec une très forte présence du crayon ou de la lithographie, tout juste agrémentés d’un soupçon d’informatique pour préparer un fond ou réaliser des à-plats.

« On reçoit 95 % d’images numériques pour nos revues. L’exposition marque un retour très net à des techniques plus traditionnelles », constate Marie Lallouet, rédactrice en chef de J’aime lire et Je bouquine (Bayard Presse). « Les illustrateurs jouent avec les matières : papiers très bruts, tissus cousus, broderies », renchérit Sylvie Thierry, directrice artistique chez Bayard Presse. Illustrations au crayon noir de l’Italienne Isabella Labate ou du Japonais Akihiro Misaki, à l’encre de Chine de la Japonaise Konomi Kita, aux crayons de couleur du Japonais Akira Hamano, linogravure de la Slovaque Veronika Holecová, gravure sur bois de la Française Marie-Gabrielle Jany ou de l’Allemande Louise Heymans, collages de l’Allemande Kathrin Göpfert, tissus cousus de la Coréenne Ha Yeon Jung, broderies de la Japonaise Fuyuko Sakai, personnages en feutrine photographiés des frères canadiens Holman et Jack Wang… Toute la palette des techniques, parfois utilisées simultanément, s’affichaient dans l’exposition bolognaise, comme sur les stands des éditeurs. La maison britannique Make Believe Ideas proposait une parodie de la série Downton Abbey - Mouseton Abbey - dont les héros sont des souris tricotées. Et Alain Serres, fondateur de Rue du monde, montrait les épreuves de Cœur de hibou (à paraître en juin) d’Anne-Lise Boutin, qui a « délaissé l’ordinateur pour reprendre les ciseaux et faire des collages ».

« Pour cette grande machine à faire de la tarte - inspirée de Charlie et la chocolaterie -, j’ai utilisé la gravure sur plexiglas et des crayons de couleur. L’école nous offre un bel atelier de gravure et de sérigraphie, ce serait dommage de ne pas l’utiliser. Ce qui me plaît, c’est le contact avec la matière », explique Morgane Flodrops, étudiante de Laurent Corvaisier aux Arts décos à Paris et sélectionnée dans l’exposition des illustrateurs. « Je ne travaille pas du tout à l’ordinateur. On a tout sous la main à l’école et je veux en profiter au maximum. J’ai commencé la gravure sur bois puis travaillé les couleurs en superposition pour cette série sur les transports. J’ai d’autres projets avec ces techniques, comme un pop-up en gravure sur bois et linogravure », renchérit Marie-Gabrielle Jany, également étudiante aux Arts décos et sélectionnée.

Vague vintage.

S’il est loin d’être majoritaire, le noir et blanc séduit encore des illustrateurs comme Evelyne Laube et Nina Wehrle. Le duo suisse a remporté le prix de l’éditeur SM de l’illustration pour le livre sur Guillaume Tell, « rappelant les dessins de Robida, l’art de la Renaissance avec des touches gothiques, le tout avec une extrême élégance d’exécution », a noté le jury. De son côté, la maison suisse La Joie de lire a montré à Bologne un carnet de dessins en noir de son illustratrice vedette, Albertine.

« Les lignes portées par des éditeurs comme Rachel Wilson chez Templar ou le nouvel imprint Flying Eye Books de Nobrow sont très graphiques », note Marion Jablonski, d’Albin Michel Jeunesse, qui souligne que ce dernier a aussi entrepris de faire redécouvrir la grande illustratrice américaine des années 1960, Dahlov Ipcar. « On voit davantage de sérigraphies, d’à-plats, de papiers découpés que de peinture ou d’hyperréalisme », souligne Elisabeth Cohat, directrice artistique de Gallimard Jeunesse. « Les sérigraphies dominent chez les Allemands, les Italiens, les Scandinaves, à la manière du travail de Blexbolex », commente Bruno Douin, directeur artistique de Milan, qui trouve que « le tout manque singulièrement de couleur ». « L’exposition des illustrateurs est plus intéressante que les autres années. Il y a une nouvelle génération qui émerge, notamment en Allemagne, dans une veine très graphique, qui se réapproprie des techniques comme la lithographie », note Frédéric Lavabre, fondateur de Sarbacane. La sérigraphie, les dessins minimalistes - du Japonais Junko Nakamura notamment - ont un petit air ancien qui rappelle l’univers de Nathalie Parain, dans les années 1930 (réédités chez MeMo).

En fait, on assiste à une grande vague « vintage » chez les jeunes illustrateurs. « C’est un “vintage? qui recule dans le temps. Après des images des années 70, les artistes proposent des images des années 50 », constate Elisabeth Cohat. « On sent les références aux comics, à l’affiche, aux livres des années 50, et aux grands posters qui ornaient les murs de nos écoles primaires », confirme Frédéric Lavabre, qui loue le « beau travail » de Raphaël Urwiller, « un revival des années 30 et 40 mais revisitées par la culture des années 2 000 ».

« Il y a une nette tendance au rétro, à l’image à l’ancienne, très léchée, un peu nostalgique », souligne encore Sylvie Thierry. « Les dessinateurs ont repris le dessus. J’ai eu un coup de cœur pour un illustrateur italien, Marco Somà. Il dessine extrêmement bien tout en amenant sa créativité - il a inventé des lampes “lucioles? - et une touche de modernité. C’est assez indéfinissable mais il dégage beaucoup de tendresse et de douceur. Sa démarche m’intéresse parce qu’elle permet de rester proche de l’enfant », confirme Alain Serres.

« Beaucoup de jeunes illustrateurs issus de la bande dessinée et du roman graphique, plus faciles d’accès au départ, émergent dans le monde du livre pour la jeunesse. Ils ont une bonne formation à l’image et sont conscients du message qu’elle véhicule », note Andreas Berg, professeur d’art et président du jury pour l’exposition d’illustrateurs suédois (la Suède était le pays invité de la foire). « Me lancer dans le livre pour la jeunesse a été un challenge. L’image y a plus de place que dans la BD et il y a mille possibilités de la traiter : c’est plus technique et plus difficile. J’ai essayé d’occuper tout l’espace de la double page, de jouer sur différents plans et sur la profondeur de champ », confirme la Suédoise Joanna Hellgren, dont les BD sont parues chez Cambourakis, éditeur en mai de son premier livre jeunesse, Le châle de grand-mère, mêlant aquarelle, gouache et collages.

« Les jeunes illustrateurs se regroupent en ateliers à Paris, à Berlin… non plus uniquement pour des raisons financières mais pour travailler en binôme sur un même projet. Ils mêlent à la fois les techniques et les approches », note Frédéric Lavabre, qui cite en exemple le duo allemand Daniel Dolz et Doris Freigofas, et les Suisses Evelyne Laube et Nina Wehrle, lauréates du prix SM.

« Les pixels, les dessins vectoriels, les à-plats, les dessins au stylo, à l’encre, les gribouillages… ne changent pas, comme les différentes écoles, sensibilités, et autres familles de l’illustration. Je ne m’intéresse pas véritablement aux tendances. Je cherche une sensibilité, une écriture, la démarche personnelle d’un illustrateur, et je suis sensible à la réponse graphique qu’il propose », conclut, toujours provocateur, Kamy Pakdel, directeur artistique d’Actes Sud Junior. <

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