Lawrence Osborne, brillant sujet britannique, ancien élève de Cambridge et d’Harvard, globe-trotteur, journaliste, romancier - la succession Chandler lui a même confié l’écriture du prochain Marlowe -, est l’un de nos meilleurs travel-writers. A sa façon, en immersion totale, il sait capter l’essence d’un pays, comme le Maroc (Terminus oasis, Calmann-Lévy, 2016), ou le Cambodge (Une saison au Cambodge, Calmann-Lévy, 2017). Voici le récit de sa longue fréquentation de Bangkok, où il a séjourné souvent, vécu même, un temps, fauché et "en cavale", comme il dit. Fasciné par cette ville de "pourriture effrénée", ce "piège à touristes" consentants qui ont du mal à s’y retrouver chaque fois, tant elle change, se métamorphose, se détruit et se reconstruit. Surtout les quartiers populaires, comme Wang Lang, son coin de prédilection.
A Bangkok, ce marcheur nocturne s’est fait quelques relations, des losers magnifiques qui l’ont entraîné dans leurs bas-fonds : McGinnis, le vieil anglais gay décadent, Dennis, le peintre australien amateur, obsédé sexuel, ou encore Farlo, l’ancien soldat britannique "en exil". Cela nous vaut quelques descriptions pittoresques, que n’aurait pas reniées Graham Greene, à qui la critique compare volontiers Osborne. Pour la profondeur, l’humour, la finesse aussi. Par exemple, son analyse de la Thaïlande comme "un petit bout d’Inde", dont la capitale a été bâtie par Vishnou et dont les souverains, sacrés, portent le nom de Rama, avec sa forme originale de syncrétisme entre l’hindouisme et le bouddhisme Theravada (ou "Petit véhicule"), est tout à fait pertinente. En compagnie d’un tel guide, c’est beau, Bangkok, la nuit. Jean-Claude Perrier