20 août > Essai France > Pierre Chiron

On peut voir sur YouTube une vidéo intitulée Trump reads "The snake" poem où le président américain identifie les migrants au serpent. Elle montre le pouvoir néfaste de la rhétorique quand elle est utilisée à des fins discriminatoires. Cette rhétorique est aussi mise au service de la communication lorsque Emmanuel Macron emploie l’expression "poudre de perlimpinpin" pour surprendre son auditoire et faire passer plus efficacement un message. Cette maîtrise du langage, cette façon d’attirer l’attention pour convaincre remonte à l’Antiquité, lorsque le rhéteur Aphthonios d’Antioche compose au IVe siècle ses Progymnasmata, ses "exercices préparatoires", qui connaîtront un joli succès jusqu’au XIXe siècle.

Pierre Chiron (université de Paris-Est), grand spécialiste du sujet, en a repris l’idée pour cet inattendu Manuel de rhétorique. Inattendu par le ton ludique, tout d’abord - ce membre de l’Institut universitaire de France aborde ces questions anciennes de manière très contemporaine -, inattendu, ensuite, par la forme. Cet éminent philologue n’hésite pas à s’appuyer sur l’actualité pour montrer l’importance de la maîtrise de la langue pour exprimer verbalement ou par écrit ses émotions, argumenter ou développer une thèse.

Cet apprentissage ne passe pas par le psittacisme, la répétition mécanique et sans compréhension de phrases toutes faites, mais par l’assimilation du langage. "Ciblés par des algorithmes qui ne leur proposent que ce qui conforte leurs préjugés et leurs passions, trop de jeunes gens ne reçoivent plus les armes du logos - langage et raison mêlés - et de l’esprit critique contre la paranoïa du complot ou des fake news."

Son manuel veut retisser les liens avec l’Antiquité en montrant que seuls les exemples ont changé. Ainsi pour représenter la chrie - de chreia, "utilité" en grec -, une figure indéfinissable qui relève de la maxime et de l’anecdote, on cite souvent Diogène surpris à se masturber en public et qui s’exclame: "Ah ! si seulement en se frottant aussi le ventre, on pouvait calmer sa faim !" Pierre Chiron prend un autre exemple, celui du général du Gaulle qui explique que le patriotisme consiste à aimer sa patrie, et le nationalisme à détester celle des autres… Des formules qui font remuer les méninges.

Du reste, la rhétorique enseignée par Isocrate, Théon et Quintilien n’a pas totalement disparu de notre société puisque chaque académicien français doit faire l’éloge de son prédécesseur, ce qui donne quelquefois des exercices de haute voltige oratoire.

Un tel enseignement est-il encore adapté aujourd’hui? Pierre Chiron le pense, à condition de le moderniser comme il le fait dans son traité de sciences poétiques. "Le rejet de la rhétorique, c’est aussi le rejet d’une des clefs de la littérature et, en général, de la culture, son versant productif, qui fait de chacun un bien meilleur lecteur, un bien meilleur spectateur, etc., bref, un véritable acteur de sa propre culture." Voilà pourquoi son Manuel de rhétorique est aussi un manuel de résistance. Laurent Lemire

Les dernières
actualités