13 février > Histoire France > Alain Rodier

Il y a des postérités qui finissent dans les pages roses du Petit Larousse. Marcus Junius Brutus doit la sienne à quelques mots que César n’aurait d’ailleurs même pas prononcés, les fameux "Tu quoque mi fili", "Toi aussi, mon fils", lorsqu’il le vit au nombre des conjurés venus l’assassiner. Pas étonnant, puisqu’il n’était pas son père ! Servilia, la mère de Brutus, était sa maîtresse et César se prit d’affection pour ce jeune homme brillant, un peu, toutes proportions gardées, comme François Hollande pour Emmanuel Macron.

C’est donc plutôt un fils spirituel qui aurait participé aux vingt-trois coups de poignard portés dans le corps de celui qui venait d’être proclamé dictateur à vie. Ce tyrannicide lui valut de figurer dans le dernier cercle de L’enfer de Dante, aux côtés de son coreligionnaire Cassius et de Judas. Et surtout, il devint le symbole du traître politique.

Qu’en fut-il réellement, ou du moins le plus probablement possible tant il est difficile de dégager le vrai du légendaire ? Sur le modèle de la collection "La véritable histoire de…", Alain Rodier a collecté les textes sur cette affaire. On y retrouve évidemment Plutarque ou Cicéron, le vieux sénateur philosophe qui fut l’ami, le confident et le guide de Brutus.

D’abord on est projeté dans la violence politique de l’époque où le glaive se manie aussi facilement que les idées. Brutus était un philosophe, un émule de Platon. Il aurait même écrit un traité de la vertu et d’autres ouvrages perdus. Son oncle Caton le stoïcien lui aurait enseigné les principes de la droiture et du suicide en cas de pépin.

A lire les extraits tirés des ouvrages d’Appien, Dion Cassius, Lucain, Nicolas de Damas, Suétone, Tacite, Valère Maxime ou Velleius Paterculus, tous publiés dans la "collection Budé", il se dessine un Brutus proche de celui imaginé par Shakespeare, un fougueux qui refusait de vivre dans les fers. Brutus n’aurait participé au complot que par goût de la liberté, parce qu’il aimait plus Rome que César. Le 14 mars 44 avant J.-C. ne serait que l’aboutissement d’un chemin intellectuel - on n’ose pas dire moral - comme le laisse entendre Plutarque. "C’est par la raison et par un choix réfléchi qu’il poursuivait activement le bien, et, quelque parti qu’il prît, il s’y portait avec force jusqu’à ce qu’il fût parvenu à ses fins."

L’après-crime fut difficile. Pris dans la querelle de succession entre Marc Antoine et Octave, il fut contraint à l’exil à Athènes puis en Crète avant de reprendre les armes contre ses ennemis au pouvoir à Rome et de mourir au champ d’honneur en se transperçant la poitrine d’un "Vertu, tu n’es qu’un mot !".

Alain Rodier, qui avait déjà signé La véritable histoire de Néron (Belles Lettres, 2013), nous offre un magnifique portrait puzzle de ce personnage tragique. A le lire, on constate combien cette littérature ancienne reste vivante dans ses propos. Une biographie complète de Brutus reste à écrire. Même si, symboliquement du moins, les hommes politiques ne cessent d’en rejouer le chapitre fatal. L. L.

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