C’est curieux comme une partie du monde littéraire français nourrit une fascination morbide pour les salauds, les perdants, magnifiques ou non : Rebatet, Brasillach, Herbart, sans parler de Céline. Maud Simonnot, jeune éditrice chez Gallimard, s’inscrit, avec ce premier livre, dans cette tendance, essayant de réhabiliter l’Américain Robert McAlmon (1895-1956). Celui-ci ne restera dans l’histoire que pour avoir appartenu, dans l’entre-deux-guerres, quand "Paris [était] une fête", à la bohème américaine (Man Ray, Pound, Hemingway, Fitzgerald, William Carlos Williams - le seul avec qui il ne se fâchera pas et qui lui restera fidèle -, Ford Madox Ford ou Dos Passos), française (Cocteau, Larbaud ou Aragon), à quoi il convient d’ajouter un Irlandais, James Joyce. Comme le père de McAlmon, pasteur au Kansas.
De tous ces artistes, il fut l’ami proche, l’amphitryon prodigue : en 1921, à New York où il avait pris la tangente et fréquentait déjà l’intelligentsia, il avait épousé la poétesse anglaise Bryher. Mariage arrangé : elle était lesbienne, lui plutôt "bi". Mais, dans le civil, elle était la fille de sir John Ellerman, l’homme le plus riche de Grande-Bretagne, et servit à son époux postiche, jusqu’à leur divorce en 1927, une généreuse pension, à condition de préserver les apparences et de se retrouver de temps à autre, à Londres (que McAlmon détestera toujours), ou ailleurs. McAlmon a passé sa vie, du moins la partie faste, à voyager, faire la fête, se saouler, se bagarrer lorsqu’il était ivre, répandre des ragots - sexuels, par exemple, sur Hemingway, qui lui a cassé la figure un jour pour cela -, à fuir sa dépression chronique et, au final, son impuissance créatrice.
Lecteur, éditeur, McAlmon a créé une revue, Contact, et la maison Contact Publishing Company qui, avec celle de Bird, Three Mountains Press, publia, depuis Paris, le gratin de la lost generation. C’est lui qui découvrit Hemingway, éditant en 1929 son premier livre, Three stories and ten poems. Il aurait pu se contenter d’être un mécène ayant, parmi d’autres, souscrit pour Ulysses de Joyce, un passeur comme ses amies Sylvia Beach et Adrienne Monnier (jusqu’à ce qu’ils se fâchent), mais il se voulait aussi écrivain. Son œuvre, inconnue en France, aurait mérité d’être ici mise en avant, expliquée.
Maud Simonnot s’est plutôt attachée à son sujet, reconstituant son itinéraire erratique durant une vingtaine d’années. Mais son héros est en creux : toujours parti, un feu follet. Alors, elle contextualise, et c’est le Paris cosmopolite qui revit, sur quoi on a beaucoup écrit. McAlmon rentre enfin chez lui, en 1940, après une arrestation et un cambriolage rocambolesques, ruiné, détruit, malade (tuberculose). Il traînera encore seize ans, finissant à Desert Hot Springs, Californie, en 1956. Jean-Claude Perrier