Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, Knut Hamsun (1859-1952), prix Nobel de littérature 1920, était pour son pays, la Norvège, une gloire et une fierté nationales. Issu d’un milieu rural très humble, il avait toujours célébré la terre, le pays, la patrie. Aussi, lorsque les Allemands envahirent l’Europe, crut-il de bonne foi que la Norvège pourrait s’épanouir au sein d’une vaste fédération germanique. Il écrivit des articles en ce sens et apporta son soutien au gouvernement "collabo" de Vidkun Quisling, lequel sera jugé pour haute trahison. Mais il n’approuva jamais la barbarie de Terboven, le nazi qui dirigea le pays pour le compte d’Hitler. Il sauva même nombre de Juifs. En revanche, il fit cadeau à Goebbels de sa médaille du Nobel, il rencontra le Führer une fois (ça ne s’est pas très bien passé), et fit encore son éloge après son suicide.
En France, on en a fusillé pour moins que ça. Mais en Norvège, on est plus pusillanime. Aussi, à l’été 1945, Hamsun fut-il interné dans un hôpital psychiatrique tenu par des sœurs, à Grimstad, en attendant un très hypothétique procès. En fait, son "cas" embarrassait tout le monde, et on peut soupçonner les autorités d’avoir sciemment traîné, dans l’espoir que le réprouvé, âgé à l’époque de 86 ans déjà, disparaisse de lui-même. Loupé: il est mort en 1952, non sans avoir écrit un dernier livre en forme de confession, Sur les sentiers où l’herbe repousse.
Psychothérapeute de métier, Christine Barthe s’est passionnée pour cette affaire, dans un livre savamment composé. On y rejoint Hamsun dès son internement, lequel va raconter, à la première personne, toutes les vicissitudes de son sort: atermoiements des autorités, tentative des psys de le faire passer pour "diminué", c’est-à-dire irresponsable, condamnation d’abord à de simples dédommagements financiers, puis, à sa demande, procès devant la Cour suprême, en 1947-1948, laquelle confirmera le premier jugement: 25 000 couronnes d’amende! A cela s’ajoute une autre intrigue, sentimentale, Hamsun retrouvant par hasard Eilin, qui fut un de ses amours de jeunesse et lui révèle un grand et beau secret.
C’est une histoire hors du commun, tragi-comique, peu connue ici, que Christine Barthe a reconstituée et romancée avec talent, mesure et empathie. Knut Hamsun, contrairement à sa seconde épouse, Marie, n’était pas nazi. Juste ultra-patriote, viscéralement anti-anglais et anti-russe. Cela peut expliquer son égarement, sans l’excuser en rien.
Jean-Claude Perrier