Le premier roman de Sinan Antoon traduit en français, Seul le grenadier (Actes Sud/Sindbad, 2017), mettait en scène une dynastie de préparateurs de morts musulmans de Bagdad. Il a reçu le prix de la Littérature arabe 2017. Avec Ave Maria, l’écrivain s’attache au sort de ses compatriotes chrétiens, dans le contexte de l’attentat terroriste qui a frappé, en 2010, l’église Notre-Dame-de-la-Délivrance, alors que des fidèles y célébraient la messe. Ce sera le point d’orgue de ce qui se veut une fiction, mais ancrée dans la réalité de l’Irak d’aujourd’hui.
Le personnage principal, et premier narrateur du livre, s’appelle Youssef. Traducteur de l’Office national des dattes à la retraite, il a recueilli chez lui, à Bagdad, sa nièce Maha, 26 ans, et son mari Lu’aï, qui ont fui les persécutions dont ils étaient victimes dans leur village. La famille est chrétienne, mais si Youssef s’affiche modéré, partisan d’une entente avec les musulmans, Maha est beaucoup plus radicale. La condamnation à mort - jamais exécutée, il mourra en prison en 2015 - de Tarek Aziz, vice-premier ministre de Saddam Hussein, les divise: l’oncle est pour, la nièce contre, parce que l’ancien haut dignitaire baasiste est chrétien. Alors qu’ils se disputent, Maha lance à Youssef cette phrase terrible: "Tu vis dans le passé." Elle la regrettera, d’autant qu’à cause de l’attentat elle n’aura pas l’occasion de présenter ses excuses. Entre-temps, Youssef aura évoqué ses parents, ses frères et sœurs, dispersés au gré des événements, ainsi que son grand amour impossible, Dalal, de vingt ans sa cadette, mais surtout musulmane.
Ave Maria est un hymne à la réconciliation, par un écrivain qui a dû fuir son pays en 1991, après la guerre du Golfe. Sinan Antoon, universitaire et traducteur, vit aujourd’hui aux Etats-Unis. J.-C. P.