Dans une espèce d’Angleterre fantasmée de la fin du XIXe siècle, jamais nommée, le jeune Lucien Minor, dit Lucy, 17 ans, a commencé sa vie sous de bien tristes auspices. Fils de paysans pauvres, souffreteux, menteur, il se sent "marginal" dans sa communauté, où les gros bras font la loi. D’ailleurs, sa petite amie Marina, avec qui il a fait l’amour pour la première fois, lui préférera Tor, un garçon plus viril, plus brutal. Ses parents ne se souciant guère de lui, il décide d’accepter une proposition d’emploi, sous-majordome au service du baron Von Aux, dans son lointain château. Il s’y rend en train, ce qui lui vaudra déjà quelques mésaventures. De même, à son arrivée, il se heurte à l’hostilité de soldats engagés dans une guerre aussi sporadique que meurtrière, notamment celle d’Adolphus, "un homme exceptionnellement beau", fiancé à la mystérieuse Klara.
Enfin, Lucy parvient au château, et, cornaqué par le vieux majordome Olderghough, philosophe et bienveillant, lequel lui évitera quelques embûches, il accomplit ses tâches bizarres. La demeure est lugubre, décrépite. N’y habite, outre les domestiques (dont Agnes, exécrable cuisinière), que le baron, un psychopathe qui souffre de dédoublement de la personnalité. Lorsqu’il est en crise, il hante, sale et dénudé, les couloirs du château, dévorant des rats tout crus ! Sinon, c’est le plus charmant des hommes. Chaque jour, il écrit à sa femme, la baronne, partie vivre à la ville, dont il est éperdument épris, une lettre d’amour enflammée. Lucy les porte au train. Elles restent sans réponse.
Jusqu’à ce qu’un jour, prenant sur lui, il ose écrire à la baronne afin qu’elle vienne remettre de l’ordre et redonner de la vie à ce sinistre séjour. Ses désirs vont être comblés : elle débarque en compagnie du duc et de la duchesse, du comte et de la comtesse, des odieux, avec qui un grand dîner va se transformer en partouze violente. Mais, entre-temps, Lucy, qui découvre peu à peu les secrets d’Aux (qu’est-il arrivé réellement à son prédécesseur, M. Broom, le "jeune homme" de la baronne, qui se serait suicidé en se jetant dans le Grand Trou ?), est tombé fou amoureux de Klara. Il va devoir la mériter, la conquérir, la disputer à Adolphus…
Difficile de synthétiser ce roman picaresque foisonnant, où le très déjanté Patrick deWitt joue avec tous les genres : fantastique, aventure, gore, satire, fable sans morale. Pour peu qu’il se laisse emporter, le lecteur amateur de farfelu, de nonsense, se trouvera enchanté.
Jean-Claude Perrier