24 mai > Philosophie France > Jean-Luc Marion

Virgile écrit l’Enéide qui chante les aventures d’Enée, le mythique ancêtre troyen des Romains et, en particulier, de la gens Julia, le clan de l’empereur Auguste, commanditaire du poème. Enée est le fils d’Anchise et de la déesse Aphrodite. Cette justification du pouvoir temporel par quelque ascendance divine ne date pas d’hier, et se poursuit après Rome. Les barbares convertis au christianisme voulurent établir un saint (sic) Empire romain germanique, les rois de France se firent tous sacrés rois. Enfin, "l’athéisme lui-même des régimes totalitaires du dernier siècle ne les a pas retenus de vouloir se sacraliser, voire se sanctifier", remarque Jean-Luc Marion dans sa Brève apologie pour un moment catholique. Alors comment faire pour empêcher la tentation du pouvoir politique de vouloir récupérer la transcendance ? En se faisant les champions de la stricte séparation entre l’Etat et la religion (hier, majoritairement catholique) ou toute autre confession (aujourd’hui, c’est à la minorité musulmane de relever le défi des exigences de neutralité) - séparation préconisée par la fameuse loi de 1905 qui, dans un contexte de crispations identitaires, se retrouve au cœur des débats. Séparation et non laïcité radicale entendue comme "quatrième monothéisme" (après le judaïsme, le christianisme et l’islam), "le premier monothéisme sans Dieu, le plus abstrait donc le plus dangereux". Il est à noter que Rousseau, théoricien du contrat social, antichrétien dans la mesure où le christianisme entend maintenir l’écart entre le pouvoir politique et l’autorité spirituelle, louait Mahomet pour "ses vues très saines" ne séparant pas le culte sacré du gouvernement de l’Etat.

"Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui est à Dieu", c’est l’Evangile qui le dit. L’auteur de Certitudes négatives (Grasset, 2010) retrace, du reste, l’origine de cette séparation à l’Ancien Testament où déjà la légitimité du roi demeure ambiguë : "Le Premier Livre de Samuel […] rapporte deux versions de l’instauration de la royauté en Israël, l’une positive, l’autre négative, discutant la question de savoir si le peuple juif doit avoir un roi "comme les autres nations", ou si Dieu seul lui tient lieu de roi."

S’il s’agit d’un plaidoyer pro domo, ou plutôt pro Domino, "pour Dieu", de la part d’un philosophe à la foi catholique assumée, il faut entendre "catholique" au sens étymologique (et voulu par Jésus) d’"universel". Contre le nihilisme qui réduit tout à la volonté de puissance de chacun, le philosophe de la "donation" exhorte à l’idée chrétienne de don, même à l’ennemi : "Le don se libère de tout intérêt […] ; il n’y a plus de donateur visible. Ainsi, comme le donateur disparaît, il donne toujours à perte et plus il donne à perte, plus apparaît le don pur" Autrement dit, la grâce. S. J. R.

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