Renvoyés dans les cordes, Arthur Cravan et ses épigones, boxeurs mondains, laudateurs d’un "noble art" né dans l’esprit de ceux qui ne l’ont jamais pratiqué, ou alors en amateurs. Qui ne se sont jamais fait casser la figure en échange d’une poignée de dollars, parce qu’ils avaient faim. Pour Elie Robert-Nicoud, la boxe, c’est "un sport de voyou pratiqué par des voyous et des pauvres §", à l’origine surtout juifs, italiens, irlandais, noirs, manouches, aujourd’hui beurs, prolos. Tous des exclus du système, des gamins de la zone résolus à monter dans "l’ascenseur social" en vendant la seule chose qu’ils possèdent : leur corps. Car la boxe, c’est aussi une "pornographie", un "strip-tease", un show, au moins depuis Cassius Clay-Mohamed Ali. A partir de qui certains puristes, d’ailleurs, ont stigmatisé une "dégénérescence de la boxe".
Robert-Nicoud sait de quoi il parle, il le fait de l’intérieur. Venu à la pratique de la boxe sur le tard, il est aujourd’hui entraîneur. Il aurait pu être boxeur lui-même, mais son père, un personnage d’exception, ancien boxeur professionnel, ami de Sidney Bechet et de Jack Palance, devenu peintre, décorateur au Vieux-Colombier, entre autres, l’en a empêché. Les vrais boxeurs n’aiment pas la boxe, elle leur fait peur. Elie a attendu la mort de ses parents pour oser, enfin, transgresser l’interdit paternel, chausser les gants, et se faire péter le nez, quand même, lors d’une séance d’entraînement. Comme "un rite initiatique", et un tribut minimal.
Personne n’a jamais écrit sur la boxe comme lui. Avec ce mélange de souvenirs personnels, qui remontent à l’enfance, dans les années 1970, quand son père l’emmenait voir des matchs à l’Elysée-Montmartre. Tenté, touché, le gamin n’échapperait pas à l’emprise du ring, qui agit comme une drogue. Faute de combattre lui-même, il a suivi tous les autres boxeurs du siècle dernier, sur qui il sait tout, avec une érudition vertigineuse, que l’on peine parfois à suivre. Robert-Nicoud excelle dans les récits de destins fracassés, comme ceux d’Harry Moyer et de ses deux fils, amochés à vie, de Floyd Mayweather, devenu dealer, d’Emile Griffith, rare boxeur homosexuel, mort atteint de démence pugilistique en 2013 et de tant d’autres, qui ont mal fini. Au passage, on croise Jack Johnson, le premier champion du monde poids lourds noir (1908), ou le jazzman Miles Davis, grand aficionado et ami des boxeurs. Et la "légende" de Mohamed Ali, fou furieux, raciste, haineux, en prend un sacré coup. Mais ce que l’on préfère, dans ce livre superbe, ce sont les pages intimes. On aimerait qu’Elie Robert-Nicoud consacre un livre entier à son père, dont la vie, semble-t-il, fut un vrai roman. Jean-Claude Perrier