C’est quoi le monde d’un écrivain? Quel rapport entretient-il avec le monde réel? Exerce-t-il une influence sur ce dernier? Toutes ces questions sont abordées en filigrane par Michel Winock dans ce portrait très politique de Victor Hugo. En seize thèmes qui vont de la colère à l’exil, l’historien montre le caractère démesuré de l’écrivain. Il a rayonné sur le XIXe siècle parce qu’il était hors normes. Il lui fallait déborder de son siècle comme le lait sort de la casserole. Son "imaginaire monstrueux" se répand dans tous les domaines. Car le monstre est d’abord celui qui montre, qui annonce, qui met en garde. Hugo n’a cessé de donner le grand orphéon romantique pour dénoncer les monstruosités apparentes, celles de la société, de la peine de mort, de la pauvreté, de l’injustice, mais aussi celles qu’on ne voit pas, dans les cœurs trop secs des hommes, chez les monarques sans ambition ou dans l’âme noire de l’archidiacre de Notre-Dame. Le plus difforme, c’est Frollo, pas Quasimodo! Il fallait cette démesure, cette exubérance pour faire passer le message.
En s’appuyant sur de larges extraits, Michel Winock montre l’échange qui s’établit entre l’œuvre et l’époque, combien l’une se nourrit de l’autre. Sauf que Hugo ne veut pas se contenter de décrire. Politique, il veut aussi agir sur ce qui l’entoure, en dénonçant d’abord, en proposant ensuite. Il se voit comme un prophète. Avec cet essai parfaitement maîtrisé, Michel Winock fait plus que nous montrer un Victor Hugo au travail. Il donne tout son sens à la collection de Tallandier "Le monde selon". L. L.