Vincent Montagne: Le SNE porte depuis son origine, les valeurs de l’édition, associées à des missions d’intérêt général, dans un esprit d’engagement collectif… Tout ce à quoi je suis personnellement très attaché. Par ailleurs, dans les circonstances actuelles, exceptionnelles à plus d’un titre, il me semblait important d’assurer le suivi de tout ce que nous avions réussi à négocier ces derniers mois, pour permettre à notre secteur de relever les défis qui se posent à nous.
Le bureau du syndicat est marqué par l’arrivée de deux nouvelles éditrices.
Les statuts prévoient la possibilité d’avoir deux vice-présidents. Liana Levi qui était déjà membre du Bureau devient vice-présidente, aux côtés d’Antoine Gallimard qui était déjà vice-Président à mes côtés. Il était important que le bureau du SNE reflète davantage la diversité de l’édition qui fait la richesse de notre industrie.
Par ailleurs, pour des raisons personnelles, deux éditeurs ont choisi de ne pas se représenter au Bureau : Irène Lindon, qui va se consacrer à la présidence de l’Adelc, ce qui est crucial en ce moment, et Laurent Beccaria, qui souhaitait céder sa place à un autre éditeur indépendant.
L’arrivée de Laure Leroy, directrice générale des éditions Zulma, au sein du Bureau s’inscrit ainsi dans cette logique de renforcer la représentativité de notre syndicat.
Donc deux maisons de taille plus modeste..
En effet. Le Bureau, à l’image du SNE, est représentatif de l'ensemble des maisons d'édition de la profession : petites, moyennes et grandes maisons d’édition indépendantes, aux côtés de groupes. Je pense que c’était important de le faire.
C’est aussi une ouverture…
Le message qu’il y a derrière ces changements est de rappeler l’importance de la création que portent toutes les maisons d'édition, y compris les plus petites, qui identifient de nouveaux auteurs, lesquels feront aussi les succès de demain. C’est un choix stratégique qui n'est pas exclusif de l'importance des groupes qui reste entière, notamment parce qu’ils sont aussi les distributeurs et les diffuseurs de centaines de petits éditeurs.
Je pense plus que jamais qu’il est nécessaire de rappeler cette dimension complexe, mais aussi complémentaire des groupes et des petites maisons d'édition. C’est aussi une manière de témoigner de la force du collectif dans la période actuelle.
Que vont apporter Liana Lévi et Laure Leroy ?
L’enquête que le SNE a réalisée pendant le confinement et à laquelle plus de 200 éditeurs ont répondu, notamment beaucoup de petites maisons, a démontré que petites et grandes structures avaient des problématiques différentes. C’est le rôle du SNE de les prendre toutes en compte le mieux possible. En septembre prochain, je souhaite que nous puissions nous réunir tous pour en débattre et discuter ensemble des améliorations à apporter afin de mieux refléter les spécificités de chacun. Petites et moyennes maisons sont exposées à des problématiques distinctes de celles des grands groupes. Leur voix doit être entendue et exprimée au plus haut niveau de l’organisation de notre syndicat. Liana Lévi et Laure Leroy seront mobilisées pour cela.
C’est une manière d’accompagner le plan livre annoncé par les ministères de l’Economie et de la Culture ?
Les aides du CNL et celles du Plan Livre vont aussi dans ce sens puisque ce sont les petits et moyens éditeurs qui en bénéficient. Ce plan, à notre demande, doit également profiter avant tout aux libraires. Nous considérons qu’ils sont au cœur de la relance de notre industrie, parce qu’ils sont au contact des lecteurs d’une part, mais aussi parce que toute librairie qui ferme sur un territoire, particulièrement en centre-ville, est un territoire perdu pour le livre.
Au-delà du maintien de l’activité, on a demandé au gouvernement qu’il s’engage à financer des investissements complémentaires pour la rénovation, l’agrandissement ou le développement numérique des librairies. Ce sont là des soutiens très concrets et indispensables pour l’avenir qui ont ainsi été accordés.
Le gouvernement a donc été à la hauteur ?
Oui, le plan est à la hauteur des enjeux. Je trouve que le ministère de la Culture a fait preuve d’une grande écoute. On le doit aussi au Président de la République qui a validé le plan que le ministre de la Culture, Franck Riester, a porté. Il a retenu la plupart de nos propositions. Si les arbitrages ont été positifs, c’est aussi parce que toute la profession s’est mobilisée et a su se faire entendre...
Et puis il n’y a pas que ce Plan dans le montant des aides pour le secteur. Il y a aussi toutes les aides pour les auteurs, les festivals… Sans oublier les mesures sur le chômage partiel et les exonérations de charges sociales, décidées à Bercy. Il y a également le PGE, le Prêt Garanti par l’Etat, qui cumule dans notre secteur, essentiellement les éditeurs et les libraires, 400M€ de prêts. Si vous rapportez ça aux 4 milliards d’euros de l’édition, ça fait dix pour cent… Bien sûr, il faudra rembourser ces prêts. Mais nous serons armés pour passer ce cap extraordinairement difficile.
La fragilité financière de la profession reste palpable…
Le CNL est en train de préparer les modalités des aides pour les éditeurs qui réalisent entre 100000 euros et 10 millions d’euros de chiffre d’affaires, soit à peu près 90% des éditeurs en France. Ces aides sont destinées à compenser une partie des pertes sur les frais fixes. Si vous faites un million d’euros de C.A., et qu’on vous donne 30 ou 50 000 euros, c’est très bien mais ça ne sauve personne si les ventes ne reprennent pas ! Cependant, il ne faut pas négliger l’effet psychologique car si vous êtes aidés, vous êtes moins tentés de jeter l’éponge.
Cela n’empêchera pas les faillites.
Si on a, comme je le disais il y a un mois, un résultat en baisse de de 25 à 30% sur l’année, mécaniquement, beaucoup de maisons et de libraires ne passeront pas la fin de l’année. Mais avec les aides et une bonne reprise de l’activité, on peut envisager que la baisse des ventes annuelles soit aux alentours de 15-20%. Il est difficile de connaître aujourd’hui l’impact durable de la crise sur les éditeurs. Il y a la reprise des ventes que nous constatons en ce moment, mais il y a aussi des économies de charge qui sont faites, du fait notamment de l’annulation de nombreux salons.
Comme Livre Paris…
Pour Livre Paris, grâce aux discussions avec le ministère, tous ceux qui avaient un stand de moins de 20m2 ont été remboursés intégralement. Ceux qui étaient au-delà ont été remboursés à 65%. Donc bien au-delà de ce que prévoyaient les contrats signés entre Reed et les éditeurs exposants.
Nous avons également permis aux éditeurs qui le souhaitaient de reporter à l’édition 2021 les sommes déjà versées au titre de leur participation à Livre Paris. Et ainsi de pouvoir exposer en 2021 en bénéficiant à la fois des tarifs applicables en 2020 et de la possibilité d’augmenter gratuitement la surface nue de 10%.
Par ailleurs, les auteurs mais également tous les intervenants programmés sur les scènes du salon ont touché l’intégralité de leur prestation non fournie.
Le SNE est donc en perte.
Le SNE et Reed ont assumé les trois quarts de ces sommes, mais le ministre a arbitré une subvention en faveur de Livre Paris qui nous a permis de mettre en œuvre cette politique là.
La perte est importante. Mais le SNE l’assume comme une sorte d’investissement sur l’avenir. Le Salon du livre est et reste une formidable caisse de résonance à l’échelle nationale et internationale pour le livre et la lecture. C’est pourquoi nous avons mis en place un groupe de travail, chargé de repenser le salon du livre de demain. Sans tabou.
D’autres mesures sont à venir ?
Il reste encore des sujets à l’étude comme les tarifs postaux, le Pass culture. Et d’autres mesures keynésiennes qui devraient venir plutôt à l’automne.
La refonte des tarifs postaux est une demande qui fait consensus dans la profession.
A la demande du Président de la République, c’est une mesure qui fait l’objet d’une étude complémentaire. Car bien évidemment ce n’est pas La Poste qui paye, mais l’Etat qui fait une dotation à La Poste pour assurer un tarif postal qui permettrait aux libraires d’être dans une économie comparable aux concurrents qui ne payent pas de frais d’expédition.
Et qu’attendez-vous du Pass culture ?
Pour l’instant il est toujours en test dans une quarantaine de départements. Mais le livre représente environ 40% de son utilisation. Il faut qu’il soit étendu à tout le pays. Cette mesure s’accompagne aussi de commandes directes de l’Etat pour les bibliothèques. Les montants n’ont pas encore été fixés. C’est bien que tout ne soit pas décidé dans l’urgence, et que des mesures soient annoncées et mises en œuvre un peu plus tard. D’autant plus que les lecteurs habitués, on le voit avec les premiers chiffres des ventes post déconfinement, sont au rendez-vous. Le Pass culture doit être associé à la politique et à l’accès de la lecture. Le faire à la rentrée, ce n’est pas plus mal.
Il y a d’autres projets ?
Il y a une autre mesure qui me semble très intéressante et que nous poussons, en vain jusqu’à présent : il s’agit de proposer, pour aider les librairies de centre-ville, une défiscalisation des loyers afin de réduire et de maintenir à prix bas leur bail. C’est extrêmement important, car il est vital d’avoir des magasins culturels en centre-ville pour l’économie de ces territoires.
Nous avons évoqué ce point avec Xavier Moni, le président du SLF, lorsque nous avons rencontré les conseillers du Président de la République. Il semble que cela soit compliqué à mettre en place avec les collectivités locales. Mais nous ne désespérons pas.
Où en est-on de la grande campagne de communication en faveur du livre ?
Il y a une campagne radio qui se prépare. France Télévisions a lancé une grande campagne autour du lancement du Prix France tv et de l'opération #MonLivreDeLété. Nous saluons cette initiative. Dans cet esprit, en écho à la relance du Pass culture à la rentrée, il faudrait que l’Etat lance une campagne sur la lecture, l’accès à la lecture et à la librairie.
C’est peut-être l’autre grand enjeu : comment faire lire les jeunes ?
Ils ont envie de lire. Mais il faut les atteindre. Bien sûr, il y a le numérique. Mais les sollicitations sont nombreuses et les inciter à lire nécessite une campagne de communication. Il faut très certainement sortir des médias traditionnels qui visent un lectorat déjà averti.
Vous semblez plus optimiste qu’en avril
Si je n’avais pas été inquiet, j’aurais été irresponsable. Cette inquiétude, tout comme celle de nombreux éditeurs, a eu son utilité. Je pense aussi que cette crise a permis une plus large prise de conscience de la complexité de notre métier.
Cependant, pour diverses raisons, comme les célébrations et anniversaires, des livres ne sortiront pas ou ne seront pas publiés avant 2021. Vous ajoutez à cela tous les festivals qui ont été annulés. Ce sont autant de rencontres avec des auteurs, de ventes de livres qui ne se feront pas. Et cela n’est pas rattrapable. Cette incertitude-là demeure durablement et il reste donc un coût économique devant nous.
D’ici la fin de votre mandat, y a-t-il une autre priorité que la gestion de la crise ?
Je souhaite vraiment contribuer à améliorer la compréhension mutuelle entre les auteurs et les éditeurs. C'est vraiment un axe essentiel. J'ai été l'artisan avec Marie Sellier, (Présidente du Conseil permanent des écrivains à l’époque, ndlr) de la signature en 2014 de l'accord auteur-éditeur du nouveau contrat à l’ère numérique. Nous devons retrouver cette dynamique.
Outre la difficulté du marché, il y a une forme d’incompréhension dans la relation entre les éditeurs et les auteurs qu’il faut réduire. Chacun est de bonne foi. Les éditeurs servent la créativité et la création des auteurs, mais quelquefois, l’éditeur, pris par la passion, le fait en ne maîtrisant pas assez sa production éditoriale.
Il est une autre priorité qui me semble importante : la création d’un fonds de solidarité pour rémunérer les auteurs en cas de défaillance de la part des éditeurs. Nous y travaillons avec le Bureau. J’espère avoir l’occasion de préciser davantage son fonctionnement dans les prochaines semaines.
Nombreux sont ceux qui mettent en cause la surproduction éditoriale.
Il y a eu beaucoup de créations de maisons, de production de nouveaux titres, notamment dans de nouveaux secteurs éditoriaux, alors qu’il y a un déclin du nombre de grands lecteurs. On ne pourra régler cette question qu’en travaillant ensemble, auteurs et éditeurs. Il faut renforcer nos échanges. Nous devons davantage dialoguer, et éviter une opposition frontale. Dans l’immédiat, la priorité est la même pour tous : la reprise.
On n’échappera pas au problème de la rémunération des auteurs.
Les taux de droits d’auteur ne cessent d’augmenter. La rémunération des auteurs augmente globalement par rapport au chiffre d’affaire des éditeurs. Les auteurs voient dans le même temps leur rémunération unitaire baisser. C’est logique puisque la vente moyenne de chaque titre baisse. La réduction du nombre de titres, selon eux, améliorerait la qualité de la production, de sa promotion et les droits d’auteurs afférents. Mais ce n’est pas aussi simple. Prenons un exemple, la croissance des mangas a réduit la part de marché des BD franco-belges, et par conséquent réduit à due concurrence la rémunération des auteurs et des dessinateurs, alors même que les à-valoir sont élevés. Il faut admettre que le lecteur est souverain...
Hormis les best-sellers, le marché est très éclaté. Est-ce que la crise actuelle va réduire la production ? On verra bien. Ça a été annoncé par de nombreux éditeurs. Mais attention à ne pas brider la créativité. Il faut aussi préserver cette énergie de l'éditeur qui a envie de prendre un risque durable pour un auteur dans lequel il croit. C’est peut-être irrationnel, mais indissociable du métier d’éditeur. Ce n’est qu’après que l’on sait si ce risque est payant ou pas.
Vous avez un exemple d’un risque payant pendant le confinement ?
Oui, le nouveau livre de Cyril Lignac publié aux éditions de La Martinière. Il a été réalisé à l’initiative de notre éditrice en plein confinement avec des photos que le chef a pris avec son smartphone. Aujourd’hui, il est en tête des ventes ! C’était totalement imprévisible. C’est probablement la première fois qu’un livre de cuisine, réalisé en quinze jours, est la meilleure vente de livres. Chaque éditeur rêve de faire cela. Des exemples analogues, il y en heureusement des dizaines. C’est la magie de notre métier.