« Vincent Bolloré est un homme qui, d’habitude, prêche avant tout pour lui même et pour son patrimoine, sans stratégie clairement définie. Ce qu’il veut avant tout, c’est faire des affaires », glisse un observateur du dossier. Mais après avoir récupéré l’argent de son joyau Universal Music, entré en bourse le 21 septembre avec une capitalisation de 33 milliards d’euros, pourquoi se tourner vers les maisons d’édition et les médias du groupe Lagardère ? Deux domaines qui « n’ont pas beaucoup d’intérêt boursièrement parlant », de l’avis d'un analyste au sein du cabinet Alphavalue.
« Le nouveau market cap de Vivendi est désormais beaucoup plus faible, passant de 30 à 12 milliards d’euros, et le groupe est redevenu ce qu’il était auparavant : une holding mixant média et presse », poursuit l’analyste financier. « Vouloir se tourner vers l’édition, c’est surtout un moyen pour Vincent Bolloré de s’acheter une certaine influence. Surtout dans un secteur qui, même s’il ne lui rapportera pas des milliards, fonctionne bien, est rentable et dans lequel Internet n’a pas bouleversé les choses », ajoute-t-il.
Industrialiser la production de contenus
« Je ne crois pas qu’il soit là pour acheter puis revendre, ni pour faire des plans de licenciements. Il y a peut-être plus ici une notion de prestige de se renforcer dans les médias et le livre », nous indique un ancien cadre du groupe Editis, évoquant aussi la retraite programmée du chef d’industrie breton en février 2022. Une idée d'influence et de prestige différente de la stratégie économique de « soufflé au fromage qu’il faut savoir ressortir au bon moment », chère à Vincent Bolloré jusqu’à présent.
Pour le patron d’un grand groupe du paysage éditorial français, une autre raison poussant Vincent Bolloré et Vivendi à renforcer sa présence sur le secteur tient en sa volonté de pousser l’industrialisation de la création ainsi que les synergies entre les disciplines. « Il y a une vraie stratégie industrielle pour Editis : faire communiquer ensemble les productions littéraires, audiovisuelles, musicales, de jeux-vidéos, la publicité, le spectacle… En somme, créer un vrai groupe intégré de production de contenus comme jamais Lagardère n’a réussi à le faire », nous glisse-t-on. Le vieux rêve de Jean-Marie Messier, fondateur du groupe dans les années 1990.
Une idée forte que poursuit Vincent Bolloré après les rachats successifs d’Editis, de Prisma Presse ainsi que les prises de participations dans Banijay (production audiovisuelle) et dans Prisa (éditeur espagnol), mais aussi après sa tentative de création d’un « Netflix latin ». Selon les informations du Monde en date du 15 octobre 2021, le groupe Bolloré chercherait aussi à se séparer de ses activités logistiques en Afrique, métier historique et « vache à lait » de l'homme d'affaires. En se séparant de toutes ses activités extérieures et en acquérant maintenant Lagardère, le projet de créer des liens, de détenir des « propriétés intellectuelles » et des franchises artistiques fortes pour les décliner dans tous les métiers du groupe passerait encore à l’étape supérieure.
Chez Hachette, respecter une « discipline collective »
Avant d’en arriver là, il reste encore pour Vincent Bolloré à convaincre les diverses autorités qui doivent se pencher sur le projet de rapprochement des deux grands groupes, puis d’accepter leurs remèdes, probablement en se séparant de certains actifs. L’Autorité des marchés financiers (AMF) devra valider l’opération boursière, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) d’une part et la direction de la concurrence de la Commission européenne d’autre part vont mesurer les positions dominantes dans les médias et l’édition. Si les notifications ne sont pas encore arrivées au sein des trois instances, on parle d’une période d’instruction pouvant durer de plusieurs mois à un an.
Durant cette période, côté Hachette Livre (Lagardère), les équipes sont appelées à la prudence dans leurs échanges avec les maisons membres du groupe Editis. Dans un message adressé aux directeurs de maisons d'édition le 7 octobre et que Livres Hebdo a pu consulter, Fabrice Bakhouche, directeur général d’Hachette Livre les appelle à « être particulièrement attentifs aux contacts avec Editis et éviter autant que possible les risques de “gun jumping”, c’est-à-dire tout échange avec notre concurrent tendant à anticiper un éventuel rapprochement entre Hachette et Editis ».