Avoir « vendu son âme au diable, au Satan allemand », c'est la terrible accusation qui fut portée en 1953 en Israël par le journaliste Malchiel Gruenwald contre Rezs? Kasztner. Celui-ci, Juif hongrois, avait négocié en 1944 dans des circonstances rocambolesques avec le nazi Eichmann, exécuteur des basses œuvres de Himmler, le sauvetage d'un certain nombre de ses compatriotes et coreligionnaires. Kasztner était parvenu à exfiltrer 1 684 d'entre eux vers la Suisse (d'abord déportés à Bergen-Belsen), tandis que d'autres parmi les 800 000 Juifs de Hongrie périssaient dans les camps. Pour certains, Kasztner était un héros, pour d'autres, comme le juge Benjamin Halevi ou Hannah Arendt, un traître, un collabo. Il périt d'ailleurs en 1957, assassiné par un fanatique, Zeev Eckstein, avant d'être réhabilité en 1958 par la Cour suprême d'Israël.
Saga labyrinthique
Mais le personnage demeure controversé, sauf pour ceux qu'il a sauvés. Comme la famille Leb-Leker, celle de Yoram (né en Israël en 1960), une incroyable tribu gigogne, truculente, dont tous les membres ont pu prendre place dans le « train Kasztner », notamment la mère du narrateur, Csillu, une femme extraordinaire. Avant de mourir, en 2000, elle lui a raconté toute leur histoire, et lui a confié le journal intime de la jeune Agi, qu'il retranscrit dans son propre livre. Il se trouve que les Leker étaient plus ou moins cousins (à la mode de Transylvanie) avec Joël Brand, un communiste, fondateur du premier réseau d'aide aux Juifs en Hongrie, dont Kasztner avait pris la succession.
Grande saga d'une famille jetée bien malgré elle dans la tourmente de la guerre puis sur les routes de l'exil, expatriée puis réenracinée en Israël et en France, L'âme au diable est un roman labyrinthique, polyphonique, aux multiples personnages (un arbre généalogique nous est aimablement fourni à la fin), où Yoram Leker aborde des événements tragiques mais sans pathos, au contraire. Ce qui frappe, chez ces miraculés, c'est leur formidable appétit de vivre, leur humour à toute épreuve. Le fameux humour juif, sans doute, nourri d'autodérision. Yoram Leker, auteur rare et farfelu, le maîtrise à la perfection.
L'âme au diable
Viviane Hamy
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 19,90 € ; 288 p.
ISBN: 9782381400211