Livres Hebdo : Quelle est l'histoire de la Bibliothèque Jacques Doucet ?
Isabelle Diu : La bibliothèque Jacques Doucet est singulière dans le paysage des bibliothèques françaises, car nous sommes une bibliothèque universitaire qui est également entièrement consacré à la conservation de fonds patrimoniaux. Notre public, composé exclusivement de chercheurs, vient dans les deux salles que composent notre bibliothèque.
C'est l'équivalent de la réserve de la BNF avec un fonds qui est à l'origine une collection privée commencée en 1910 par le couturier Jacques Doucet. Dans ces années-là, il est à la charnière d'un monde finissant. Grand collectionneur et mécène, il lance à l'âge de 60 ans une bibliothèque littéraire.
Comment s'est constituée la collection au fil du temps ?
Dans un souci pédagogique, Jacques Doucet fait appel à André Suarès, auteur et journaliste qui lui suggère une bibliothèque autour de la modernité. Il commence la bibliothèque littéraire avec Stéphane Mallarmé ou encore Charles Baudelaire et ses poèmes qui s'intéressent aux changements perceptibles du XXe siècle. Doucet n'est pas du tout cultivé, il vient d'un milieu commerçant, mais il est très curieux.
Un travail d'archive a été effectué dès 1914. Des corpus se sont constitués autour d'une centaine d'auteurs. Dans l'entre-deux-guerres, Jacques Doucet rencontre un libraire qui le présente à de nombreux écrivains tels que Guillaume Apollinaire, André Breton ou Louis Aragon. Ces derniers deviennent ses conseillers, puis ses bibliothécaires.
Jacques Doucet joue également un rôle de mécène auprès des auteurs qu'il rencontre: il leur commande des œuvres spécialement rédigées pour lui. C'est le cas L'Eubage aux antipodes de l'unité de Blaise Cendrars, écrit pour la première fois de sa main gauche, après son amputation suite à une blessure de guerre.
Aujourd'hui, quelle est la politique d'acquisition ?
Jacques Doucet a acquis un nombre important d'ouvrages, iconographies et surtout des correspondances entre auteurs. En 1929, à sa mort, la collection est léguée à l'Université de Paris et transférée dans une salle de la réserve de la Bibliothèque Sainte-Geneviève. Depuis, notre politique est de renouveler son geste en enrichissant le corpus que nous avons déjà.
Nous rajoutons également des oeuvres d'auteurs plus contemporains comme Emil Cioran ou Claude Simon. Notre fonds s'étend ainsi du milieu du XIXe siècle jusqu'à nos jours. On dispose pour cela d'un budget d'acquisition qui s'élève entre 100000 à 150000 euros par an, financé par l'association Doucet littérature et ponctuellement par des mécènes.