C’était chaque fois pareil, à chacun de ses séjours en France pour "accompagner" la sortie d’un de ses livres. Alors que les journalistes n’en avaient que pour Fitzgerald ou Hemingway, le sommant en quelque sorte de choisir son camp, James Salter, qui avait gardé de l’un le goût des tristesses élégiaques et de l’autre celui de la cristallisation du temps, répondait sans coup férir Nabokov, Colette, Tchekhov ou Isaac Babel. Soit, pour les trois derniers d’entre eux, ce qu’il considérait comme la quintessence, dans la forme courte, de l’art narratif.
Bien sûr, ce n’est pas sans raison que James Salter (qui nous a quittés en juin 2015, quelques mois seulement après la sortie en France de son ultime chef-d’œuvre, le puissamment testamentaire Et rien d’autre) est considéré avant tout comme un romancier, peut-être le plus précieux des romanciers américains de ces cinquante dernières années. Mais la nouvelle, qu’il pratiqua aussi avec assiduité, lui était bien plus qu’un exercice de style. Dans un entretien donné à la Paris Review (et réédité récemment dans Salter par Salter paru à L’Olivier), il disait qu’elle devait "posséder trois qualités essentielles pour prétendre à la grandeur : style, structure et autorité". Ces trois éléments sont en effet au rendez-vous des 22 nouvelles, soit la totalité de son œuvre de nouvelliste, réunies enfin en un seul volume intitulé Last night. Ces nouvelles, pour l’essentiel, avaient été préalablement publiées dans les deux volumes American express (L’Olivier, 1995) et Bangkok (Les Deux Terres, 2003); cinq d’entre elles sont absolument inédites. Rien de plus vain que de chercher à les résumer. Ecrivons seulement que si certains écrivains sont plutôt nocturnes et d’autres diurnes, Salter, lui, serait l’homme des entre-deux, de la tombée du soir, des verres après le bureau, des femmes un rien froissées, des souvenirs de voyages et des projets de ceux qu’il reste à faire. Comme dans tous ses livres, il sera question d’amour, d’amitié, d’honneur, du goût des choses passées et, de manière toujours plus élégiaque, de l’érotisme infini des corps. Ceux qui se prennent, ceux qui se trouvent et ceux qui se retrouvent. Sur tout cela s’étend une infinie sophistication, un voile de tristesse, une mélancolie qui serre d’autant plus le cœur qu’elle demeure discrète. Rien n’est vraiment très établi, tout fiche toujours le camp et, tout au long de ces histoires impressionnistes, Salter est comme un peintre qui abandonne peu à peu le figuratif. C’est du grand art, la littérature en habit de gala. O. M.