18 août > Roman Jamaïque

Le 3 décembre 1976, à Kingston, deux jours avant de se produire sur scène pour un grand concert organisé en "sous-main" par le parti au pouvoir du Premier ministre jamaïquain d’alors, Michael Manley, Bob Marley fait l’objet d’une tentative d’assassinat. Le chanteur est touché au bras, sa femme et son manager aussi, plus gravement. Le tueur est soupçonné d’être un homme de main du parti d’opposition que l’on dit financé par la CIA, inquiète des sympathies castristes de Manley tout autant que de voir le chanteur de reggae mettre son immense popularité à son service. Comme souvent, il s’avérera au fil des ans que l’affaire est peut-être plus complexe encore.

Cet événement, acte manqué et remords de l’histoire de la Jamaïque contemporaine, sert d’axe et donne son énergie à Brève histoire de sept meurtres pour lequel son auteur, Marlon James, se vit remettre des mains de Camilla Parker Bowles le Man Booker Prize 2015. Il est le premier écrivain jamaïquain et deuxième caribéen après Naipaul à avoir reçue cette récompense.

Que sait-on au fond de la Jamaïque des années Marley ? Tout au long des 750 pages de son livre, Marlon James s’attarde à peindre ce pays qui est le sien, même s’il l’a quitté pour enseigner à l’université du Minnesota, écrire loin des "cornes du taureau", s’accepter enfin tel, un romancier noir, gay, issu de la bourgeoisie. De la guerre des gangs à Kingston aux rues des villes américaines décimées par le crack, en passant par des barbouzes de la CIA, des putes, des politiciens, des tueurs qui sont encore des enfants, un reporter pour Rolling Stone, toute une humanité dévoyée d’âmes perdues. La fange fait mieux que côtoyer le sublime, elle le recèle. En tout, 76 personnages croisent en ces parages, chacun dans sa zone grise au-delà du bien et du mal, et tournent autour de cet obscur objet du désir qu’est Marley, jamais nommé autrement que "le chanteur".

Brève histoire de sept meurtres est d’abord un livre politique et postcolonial, pas si éloigné au fond dans sa fureur imprécatoire du meilleur James Ellroy ou du Bob Shacochis de La femme qui avait perdu son âme (Gallmeister, 2016). C’est aussi une langue, une musique (le travail de sa traductrice, Valérie Malfoy, doit être salué) comme le fut en son temps La brève et merveilleuse vie d’Oscar Wao de Junot Díaz (Plon, 2009). L’enfance de l’art et la recréation du monde, en somme. O. M.

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