Le service de gestion de courts tirages Ritméo permettra de diviser par 8 à 10 les stocks de livres dont les ventes annuelles sont comprises entre une centaine et environ un millier d’exemplaires", assure Jean-François Lyet, directeur technique d’Hachette Livre. Actuellement en test, avant sa mise en service d’ici six à huit semaines, ce nouveau dispositif s’appuie sur deux éléments. Le premier est une presse Canon Océ 5500 monochrome associée à une chaîne de finition Tecnau Libra 5500, toutes deux entièrement automatisées et tout juste installées chez Dupliprint, spécialiste de l’impression numérique, situé à Domont (Val-d’Oise). Conçue en 2012, "cette technologie d’impression est aujourd’hui bien éprouvée", insiste Frédéric Fabi, P-DG de l’entreprise, qui a investi 2,5 millions d’euros dans ce projet.
Le second élément ne se voit pas, et c’est la vraie nouveauté de ce service : il s’agit du programme d’automatisation de milliers d’ordres de réimpression, qui lance des commandes de quelques dizaines d’exemplaires sans intervention humaine, en fonction du volume et du rythme des ventes, de leur historique et de leur évolution anticipée.
Fin du surstockage
"Pour les ouvrages de ventes réduites, l’objectif est d’avoir en permanence la juste quantité d’exemplaires, qui évite les ruptures mais aussi le surstockage, coûteux et qui finit parfois au pilon", explique Jean-François Lyet, ajoutant que ce programme a été conçu en interne par le service informatique du Centre de distribution du livre (CDL) d’Hachette à Maurepas. Il n’y aura aucune différence de délai pour les libraires, qui trouveront ces livres dans les mêmes colis que les autres. Ritméo sera proposé ensuite aux éditeurs extérieurs, clients de la diffusion-distribution d’Hachette Livre. Les conditions commerciales ne sont pas communiquées, mais "le coût de revient sera comparable", assure le groupe. Il complète le service de Lightning Source, unité d’impression installée à Maurepas, qui fabrique à la demande les livres vendus à moins de 50 exemplaires par an, qui ne sont pas stockés (environ 300 000 références, dont l’essentiel de la BNF).
"Le prix unitaire moyen de fabrication sera moins cher que celui de Ligthning Source, et proche de l’impression numérique en plus gros volume", indique Jean-François Lyet, sans plus de précision. Dupliprint dispose aussi d’une presse numérique HP mise en service en 2012 pour des tirages de 200 à 3 000 exemplaires. "A 500 exemplaires, le prix moyen d’un livre monochrome grand format de 256 pages, avec couverture pelliculée et papier offset 80 grammes, se situe aux alentours de 1,75 euro", indique Frédéric Fabi. Le nombre de références concernées par Ritméo n’est pas encore connu, chaque éditeur du groupe devant établir sa liste. La réduction des stocks du groupe, d’une centaine de millions de volumes pour 75 000 références en 2015, n’est pas non plus quantifiée. Ce sera uniquement des livres monochromes, donc de littérature générale, dont les caractéristiques initiales de fabrication sont reproductibles par Dupliprint. La gamme de papiers utilisables (grammage, bouffant, avec ou sans bois) va s’élargir, jusqu’au journal amélioré pour le poche, et le choix de couvertures va jusqu’aux rabats, assure l’imprimeur.
Ordres de fabrication automatisés
La maîtrise des coûts passe par une automatisation extrême de l’ensemble du service. La chaîne Canon-Tecnau fonctionne avec deux personnes seulement dans l’atelier et dispose d’une capacité de fabrication de 5 millions de volumes en 2 × 8. La première presse numérique installée en 2006 nécessitait 10 salariés, pour une capacité de fabrication de 1,2 million de volumes, et un tarif à l’exemplaire de 2,20 à 2,30 euros, rappelle Frédéric Fabi. Toutes les métadonnées et PDF imprimeurs doivent être bien sûr dans les serveurs de l’imprimeur. La gestion des ordres de fabrication est aussi automatisée : "Le temps de traitement d’un ordre passe à 5 secondes, contre 10 à 15 minutes en traitement manuel. Nous avons acquis ce savoir-faire avec notre service de marketing direct", explique Frédéric Fabi. Dupliprint devrait gérer 10 000 à 20 000 ordres de tirages supplémentaires envoyés par Hachette, contre 13 000 aujourd’hui. Les ouvrages sont livrés dans les caisses ou sur les palettes, avec les identifications nécessaires pour les installer immédiatement à leur place dans l’entrepôt de Maurepas, à environ 1 h 15 de route de Domont.
Du côté des éditeurs, la gestion de ce volume d’ordres serait tout aussi problématique sans automatisation ; il était donc essentiel que ce programme les décharge de ce travail de surveillance de leurs stocks. "Ritméo deviendra un élément essentiel de la gestion de notre fonds, assure Jérôme Laissus, directeur général de Fayard, chargé de l’administration et des finances. Aujourd’hui, pour un livre qui se vend à environ 400 exemplaires par an, nous retirons deux fois à 200 exemplaires, pour disposer d’un stock moyen d’une centaine d’exemplaires. Avec Ritméo, nous passerons à une dizaine de tirages de 40 exemplaires, pour un stock moyen de 20 exemplaires, soit une diminution de 80 %." Le nombre d’ordres de tirages s’en trouvera considérablement augmenté, mais avec une charge de travail moindre pour les éditeurs. "L’an dernier, nous avons lancé 1 200 tirages, pour un volume moyen de 1 000 exemplaires. En 2007, nous en étions à 600, pour 1 800 exemplaires de volume moyen", ajoute le DG de la maison, qui fait partie des trois éditeurs en test (avec Dunod et Calmann-Lévy).
Pour Dupliprint, c’est aussi un programme qui peut lui rapporter les commandes que les éditeurs tiers confient pour le moment à d’autres imprimeurs : la concurrence entre distributeurs remonte dans la chaîne de fabrication du livre, réduisant à la fois le volume global de fabrication par une meilleure organisation, et le concentrant sur un nombre réduit de prestataires. Hachette ne couvrira pas cette capacité nouvelle de production de courts tirages, que Dupliprint propose donc à d’autres distributeurs (1), en la baptisant So simply - mais bien sûr sans les algorithmes conçus par Hachette.
Séduire les éditeurs
Au-delà de la volonté de réduire ses immobilisations et d’améliorer sa trésorerie, le groupe répond aussi à Interforum, la filiale diffusion-distribution d’Editis, qui a inauguré l’an dernier dans ses entrepôts de Malesherbes une unité de fabrication numérique à la commande (2). Construite par le groupe américain Epac et baptisée Copernics, elle imprime aussi bien à l’unité que jusqu’à 3 000 exemplaires, avec un objectif encore plus drastique de réduction de stocks. Le but est aussi de séduire des éditeurs extérieurs au groupe, et les principaux concurrents d’Interforum ne pouvaient rester inactifs. La Sodis, filiale de Madrigall, a aussi annoncé la mise en place d’un service de courts tirages, pour tenir un stock toujours disponible mais maîtrisé, baptisé Thémis. Pour les éditeurs indépendants, le choix d’un distributeur deviendra plus intéressant en termes de potentiel de réduction du coût de leurs stocks, mais aussi plus complexe, et plus engageant en raison de l’imbrication grandissante des services fournis dans sa propre gestion.
(1) Voir LH 1156 du 12.1.2018, p. 27.
(2) Voir LH 1136 du 30.6.2107, p 26-27