8 septembre > Roman Portugal

Deux types sonnent. Dans l’œilleton : l’un en costume, élégant, élancé, "mallette de technocrate à la main" ; l’autre en bleu de travail, trapu, visage fermé, "boîte à outils dans une immense paluche". Votre cœur commence à palpiter et ce n’est qu’un début. La protagoniste de L’installation de la peur de Rui Zink voit débarquer chez elle deux agents du gouvernement venus "installer la peur", conformément à la directive n° 359/13, arrêté 8 : "La peur doit être installée dans tous les foyers dans un délai de cent vingt jours." Pendant que son acolyte est allé chercher du matériel, le grand parle, c’est un beau parleur. Il précise qu’ils ont beau travailler en binôme, ils ne sont pas amis : "S’il y a une chose dans l’installation de la peur, c’est bien le respect des hiérarchies. La conscience de la place de chacun, vous comprenez ? Pas de mélanges. Pour ne pas créer de confusion. Quand chacun sait quelle est sa place, les choses fonctionnent mieux, vous voyez ?" Devant la locataire médusée, il continue de dérouler ses théories comme une espèce de travail préparatif à l’instauration définitive de la boule d’angoisse. La peur, c’est bien sûr les expulsions et la précarité sur fond de coupes budgétaires.

Dans ce huis clos surréaliste, l’écrivain, né à Lisbonne en 1961, dégage des lucarnes sur le réel : "VOUS VIVEZ DANS UN QUARTIER QUI DANS LE TEMPS FUT UN QUARTIER mais, aujourd’hui, c’est une sorte de ville fantôme, un lotissement moderne troué de larges avenues." A l’absurdité de la scène se mêlent des bribes de conte, un Petit Chaperon rouge version récession. Dans nos sociétés régies par le tout économique, n’avons-nous pas envoyé nos enfants dans la gueule du loup ? Une grande partie de sa jeunesse lusitaine a émigré pendant la crise, des coupures de presse, des extraits de poème de Pessoa, de Chico Buarque, de chanson pop… Rui Zink a l’humour caustique, il cite Borges. Pas Jorge, mais António, l’ex-financier de Goldman Sachs : "Baisser les salaires n’est pas une politique, c’est une urgence." Sean J. Rose

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