Depuis Il faut tuer José Bové (Albin Michel, 2005), l'ascension de Jul a été fulgurante. L'ex-dessinateur de Charlie Hebdo a repris, en tant que scénariste, Lucky Luke - il rempile avec un quatrième volume en octobre. Album après album, il croque les phénomènes de société, notamment avec sa série Silex and the City (Dargaud). Sous son crayon sont revisitées la philosophie (La planète des sages) ou les aventures des locataires de l'Olympe, avec son complice Charles Pépin pour la partie pédagogique. 50 nuances de Grecs, qui se poursuit en une version dessin animé sur Arte, se décline ici en manière de roman-feuilleton et sans dessin. Œdipe chez le psy, Narcisse en youtubeur, Hercule à Pôle emploi,« Athéna sur Arte » et « Apollon sur Tinder »... l'épopée continue, car ces divinités et héros hellènes, comme entend le prouver ce Jul sans bulles, « n'ont pas déserté le monde d'aujourd'hui ». Même ton, avec un goût de l'écriture assumé. Jul joue amplement de sa plume pour titiller le lecteur. Le texte s'y déroule à la fois chamarré et piquant, avec des répliques fleurant bon l'art du dialoguiste.

En prolégomènes, Jul nous avertit, et en alexandrins s'il vous plaît ! : « Tu crois, Lecteur, avoir choisi d'ouvrir ce livre ; / En parcourant ces lignes jouir de ta liberté / Mais tes désirs, tes actes, tes songes, tes pensées / Sont dictés de plus hautpar d'autres volontés... » ; « Ici point de Mossad, de Chine, de CIA / Pour te manipuler, point d'aliens ni de GIEC, / Point d'Illuminati, de Juifs, de Big Pharma, / Car dans ce complot-ci, nos maîtres sont... des Grecs ! » Foin des complotistes, soyons juste fatalistes, la nature humaine étant ce qu'elle est, imaginons pour nous consoler que s'il nous arrivait quelque malheur, c'est la faute à Zeus et consorts ! Freud avait puisé dans la mythologie grecque ses intuitions afin d'élaborer sa théorie de l'inconscient, Jul y trouve les couleurs pour dépeindre notre société en pointant à l'instar d'un Molière ou d'un La Bruyère les travers de nos contemporains.

Féminisme, théorie du genre, grogne sociale, pandémie... Les questions ultra-contemporaines s'invitent au banquet. Artémis, consternée par le sexisme des Olympiens, rétorque à ses pairs à propos d'Hestia, déesse du Foyer et privée de vacances : « Dites, c'est pas non plus "la déesse des Bonniches" ! » Côté divinités mâles, ces « conquérants du Sexe », c'est la cellule de crise. Comment répondre à la contestation contre le patriarcat mythologique ? Les manifestantes du mouvement #Mythe-Too leur ont pour ainsi dire cloué le bec. Dans l'ambiance feutrée où on boit du thé vert avec Bach en fond sonore, où nul n'ose prendre la parole, Zeus lâche : « On se fait chier... » Nous, avec notre aède 2.0, jamais !