En 2020, plus de 760000 albums ont été vendus en Allemand et dans une vingtaine de dialectes régionaux du pays. Astérix et le Griffon, sera tiré outre-Rhin à 1,8 million d'exemplaires. Comment expliquez-vous ce succès?
Je crois que les Français partent du principe qu'Astérix est un Gaulois. Moi, je trouve que non. Uderzo d’abord est italien de souche. Goscinny est originaire d'Europe de l'Est et a grandi en Argentine. Il a même commence? sa carrie?re aux USA. Tous les deux ont un humour et un esprit international, qui passe vraiment partout. Leurs textes sont vraiment adaptés partout. La cre?ation de l’Europe coïncide avec la naissance d'Astérix. Et la série met en scène la rencontre entre les peuples. A l’e?poque, les frontie?res s’ouvraient. Les gens commenc?aient a? voyager. Vous savez j’ai 63 ans. Quand j’e?tais petit, je vivais proche de la frontie?re hollandaise. Il fallait un visa pour passer les frontie?res. L'Europe tel qu’on la connai?t aujourd’hui s’est cre?e?e avec Aste?rix.
Aste?rix chez les Goths joue sur tous les ste?re?otypes : les Allemands n’ont pas trouvé l’album trop caricatural ?
Ça peut surprendre les franc?ais, mais les Allemands trouvent cet album vraiment tre?s dro?le. Cette BD montre comment Uderzo et Goscinny étaient dans le temps et dans l’esprit du temps. A? la fin des anne?es 1960, on se posait des questions sur le nazisme et tout ce militarisme. Toute la jeunesse se posait des questions. “qu’est ce que vous avez fait ?”. Finalement Aste?rix, a cet e?poque e?tait dans l'esprit des allemands. La BD se moquait des Goths, avec leur casques pointus. Et c'est ce que souhaitaient les allemands qui voulaient évacuer ce passé...
Combien de temps prenez-vous pour traduire un album ?
En ge?ne?ral, en tant que traducteur nous devons respecter des de?lais. C’est assez court, car nous devons travailler en parallèle de l'e?dition franc?aise. En effet, l’e?dition allemande sort le me?me jour que la franc?aise. En prenant tout en compte, j’ai environ deux mois et demi pour re?aliser la traduction. Je reçois l’album qui n’est pas encore fini au printemps, en franc?ais. L’album est encore au stade des gribouillages. En travaillant 40 heures par semaine, il faudrait 4 à 6 mois. Là, e?tant donne? que j’ai deux mois à deux mois et demi et je ne fais plus rien d'autre. Il faut savoir que cela peut prendre du temps. Par exemple, dans Aste?rix chez les Pictes, j’ai mis trois heures a? traduire une phrase. Il faut parfois transformer le sens pour que la musicalité reste et que la lecture reste aussi fluide qu'en français.
Quand vous travaillez sur une œuvre aussi prote?ge?e qu’Aste?rix , devez-vous garder le projet le plus secre?tement possible ?
En effet, je dispose d'un accord de confidentialite?. Je ne peux en parler a? personne d’autre que moi. Le secret est si bien garde?, que je n’ai pas droit de sortir un bout de papier de mon bureau.
Cette difficulte? n’est pas trop complique? a? ge?rer au quotidien ?
Je dois m’enfermer dans mon bureau et n’avoir que les yeux sur mon travail. Souvent, je travaille toute la nuit. Heureusement ma famille est compréhensive.
Quelles sont les difficultés rencontrées pour la traduction ?
Vous savez quand on fait de la BD, nous avons de?ja? des contraintes supplémentaires. Par exemple, le texte doit tenir dans les bulles, qui sont déjà dessinées. Le dessin est sacre?, nous ne pouvons en rien le modifier. En connaissant l’allemand, vous savez que les mots germaniques sont beaucoup plus longs que les mots franc?ais. En ge?ne?ral, on devrait avoir 15% d'espace supplémentaire pour caser le texte. Mais face a? cette contrainte graphique, nous devons malgre? tout le faire rentrer le texte dans les bulles. Par exemple, avec le personnage “Cékankondine”. On ne peut pas le traduire mot a? mot. On peut mais apre?s c?a n'a plus de sens. Ce nom qui finit par “ine”, quand on le traduit on doit trouver un nom dans le me?me esprit. En allemand, c?a se traduit “Terrine”parce que c’est dans le me?me rapport a? la nourriture et c?a termine de la même manière.
Quand il y a des références trop françaises, qu’en faites-vous ?
Nous devons germaniser le texte. Par exemple, chez les Pictes, il y avait une caricature de Johnny Hallyday. En Allemagne, le chanteur n’est pas connu. Donc il fallait trouver une autre figure musicale équivalente. J’ai donc adapte? le personnage a? l’Allemagne, avec un chanteur populaire depuis pre?s de 40 ans.
Quels sont les autres changements entre le français et l'allemand ?
Les noms latins des romains vont se terminer avec “us”. Il faut donc arriver a? trouver des noms se rapprochant de l’original. Je dois en ge?ne?ral créer des noms. "Jolicursus", Ve?nator qui combat des animaux, se nomme "Ausli Mause", c'est-à-dire “Fini les souris”. Ce nom fonctionne bien en allemand, car il se termine par us. Pour le personnage, qui ressemble a? Houellebecq, le ge?ographe Terrinconus, il est renommé Globulus en allemand, car Globus veut dire le globe terrestre et Globulus, ce sont les graines d’home?opathies. D’un co?te?, c?a fait re?fe?rence le globe terrestre du ge?ographe et de l’autre l'home?opathie. Mais, quand c’est possible, il faut respecter l'œuvre originale. Dans les dialogues entre les personnages, je n'enle?ve pas le latin. Par contre pour les mots franc?ais, je n’en garde aucun. Car il faut que le lecteur allemand puisse lire l'album comme si c'e?tait une histoire allemande.
Comment se de?roule le processus de validation ?
Apre?s avoir terminé? la traduction, je file a? Berlin. Mon travail est revu en Allemagne. Apre?s, gra?ce a? l’aide de trois re?dacteurs, on se penche sur mon travail. On ve?rifie etcorrige chaque mot. Pour bien comprendre le texte et ve?rifier la qualite? du texte, il m’arrive de le lire a? haute voix. Apre?s nous partons pour Paris, ou? un audit est re?alise?. Ensuite, le texte est de nouveau traduit en franc?ais. Cette e?tape est importante, car elle nous permet de demander a? Jean-Yves Ferri, s’il est d'accord avec les changements. Parfois, il est arrive? qu’il demande de légères modifications textuelles. Sur ce point, je dois encore plus me creuser la te?te car il est primordial de respecter l’auteur.
Comment e?tes-vous arrive?-là ?
Je me suis installé? en France, car j’ai fait la connaissance d'une française. Je me suis dit “qu’est-ce que je vais faire”. J’ai eu l’idée de devenir traducteur, car on peut exercer ce métier partout. Comme je n’avais pas fait d’études de français, je me suis dit que je ne comptais pas demander directement Marcel Proust. J’ai contacte? des petites maisons d'édition de BD. Elles m’ont donné? beaucoup de travail. Avec Egmont Ehapa Verlag, j’ai d'abord fait la série de Lucky Luke. Pour eux, j’avais également réalisé? la traduction de livres sur les films adaptés d’Uderzo et Goscinny. J’ai aussi traduit leurs œuvres de jeunesse, comme Benjamin et Benjamine, Luc Junior. Apre?s le de?part à la retraite de la traductrice allemande, une place e?tait libre pour Aste?rix. Il fallait bien trouver un successeur. Nous étions cinq en lice et avons été? teste? avec une page de traduction a? re?aliser.
Avec quel personnage de la série Astérix, vous vous identifiez le plus ?
J’ai toujours été lie? a? Troubadix, ou plus commune?ment appele? en France ,Assurancetourix. Car, cet artiste du village ne s’arre?te jamais et ne se de?courage pour aucune raison.
Quel est votre album pre?fe?re? ?
Pour moi, c’est Aste?rix et l'Odysse?e, car j’ai fait des e?tudes d’histoire. La rencontre avec les peuples d’antiquite? m’inte?ressait e?norme?ment. Apre?s naturellement, j’appre?cie aussi Obe?lix et compagnie, qui place Obe?lix au centre du récit. J'ai eu la chance de traduire Goscinny. C’est c?a qui fait la diffe?rence pour pouvoir travailler avec Jean-Yves (Ferri).