Dans leurs communiqués, les deux associations reprochent au CPE des "dysfonctionnements", une "gouvernance problématique" ou encore son "opacité". Surtout, les deux syndicats accusent le CPE de manquer de poids dans les négociations avec les éditeurs et les pouvoirs publics.
"La commission de négociation du CPE étant trop faible dans le rapport de force avec le SNE, certains accords pris dans les négociations interprofessionnelles posent de véritables questions dans leurs applications concrètes," écrit ainsi la Ligue dans un courrier adressé à la présidente du CPE, l'auteure Bessora. Au point, selon l'association, que "les actions et décisions du CPE [nuisent] à l’intérêt collectif de notre profession".
Même constat du côté de la Charte, pour qui "cette organisation ne répond plus en l’état à la situation d’urgence qui est celle des auteurs et des autrices, et échoue à se fixer pour unique priorité la défense de leurs intérêts propres. En dépit des multiples signaux adressés par la Charte depuis que l’association en assure la vice-présidence partagée, le CPE n'a pas pris la pleine mesure de ce qui se joue réellement : rien moins que l’avenir de la création. La Charte entend aujourd’hui regagner en indépendance et en liberté d’action."
Dissensions internes
Aux désaccords stratégiques, s'ajoutent les dissensions internes. La Ligue fait "le constat des dysfonctionnements internes du Conseil permanent des ecrivains : son manque de démocratie [et] son opacité dans les prises de décision". L'organisme dénonce également l'influence des sociétés de gestion collectives au sein du CPE, dont certaines "sont aujourd’hui davantage décisionnaires que les auteurs et autrices bénévoles eux-mêmes. L'association atteste de "divergences d’intérêt notables : transparence des répartitions, régularité des paiements, etc."
"Tout l'enjeu réside dans la clarification des intérêts défendus, explique à Livres Hebdo la vice-présidente de la Ligue, Samantha Bailly. Cela fait longtemps que l'on essaie de proposer des réformes en interne pour moderniser et réorganiser le CPE autour des enjeux de la profession afin de défendre nos métiers, mais on nous oppose à chaque fois l'union à tout prix. Il faut de l'union, mais dans un périmètre très clair, celui de la défense des métiers d'auteurs."
Joint par Livres Hebdo, le délégué général du Syndicat national des auteurs et des compositeurs (SNAC), qui assure la présidence du CPE, Emmanuel de Rengervé, regrette la décision de la Ligue et de la Charte, mais estime qu'elle est "cohérente". "Cela fait un moment que, dans un certain nombre de cas, elles ne jouaient pas le jeu collectif. Demain devait se tenir un conseil d'administration pour évoquer certaines prises de position tranchantes de la Ligue sur les actions du CPE, nous acterons à la place son départ."
Sur le fond, le responsable estime que le CPE est victime d'un faux procès : "C'est le CPE qui a obtenu un accord en 2013 avec le SNE [sur le contrat d'édition à l'ère numérique] passé dans le droit en 2014. Bien sûr, ce n'est pas assez, c'est la raison pour laquelle les négociations continuent." Selon Emmanuel de Rengervé, "cette dissension des organismes d'auteurs ne va pas aider les auteurs, mais nous continuerons à défendre leurs intérêts et à être l'interlocuteur du SNE".
Contexte politique tendu
Les démissions de la Charte et de la Ligue du CPE s'inscrivent dans un contexte politique tendu pour les auteurs. Lourdement touchée par une crise administrative, sociale et économique, la profession avait placé tous ses espoirs dans l'application du contenu du rapport Racine portant sur la refonte du statut des artistes-auteurs. Mais les annonces du ministre de la Culture Franck Riester ont largement déçu les attentes des associations, pour qui "les défis du rapport Racine n'ont pas été relevés".
Reste que la Ligue espère peser dans le futur Conseil des artistes-auteurs, l'une des mesures annoncées par le ministre. Cette instance professionnelle doit, dès 2021, combler le vide de représentativité des artistes-auteurs et les doter d’organisations représentatives. "Nous sommes convaincus que seul le Conseil des Artistes-Auteurs, sous l’égide de l’État, dans une approche transversale avec d’autres métiers de la création, pourra établir l’équilibre qui manque aujourd’hui cruellement dans les négociations interprofessionnelles, termine la Ligue. Obtenir des avancées significatives sur le champ de la rémunération, de minimums, de la reconnaissance du travail de création, passe par l’affirmation d’une profession."