11 janvier > Histoire France > Thierry Maugenest

Imaginez un ministre des Finances qui réduirait les impôts des plus nécessiteux et taxerait les riches… Un beau sujet de roman, penserez-vous ! Et pourtant, un tel personnage a véritablement existé. Il fut de mars à novembre 1759 le grand argentier de Louis XV et s’appelait Etienne de Silhouette. Le nom vous dit quelque chose, forcément. Tout le monde n’a pas le privilège de léguer une antonomase à la langue française à l’instar du préfet Poubelle. A l’époque, un profil "à la silhouette" - on trouve l’expression chez Rousseau - signifiait simplement esquissé, au propre comme au figuré.

Mais cet homme qui a laissé à la postérité une vue de profil a montré qu’il savait faire face aux événements. Thierry Maugenest nous le raconte avec une belle énergie. L’auteur des fameuses Rillettes de Proust (JBZ & Cie, 2010) et des Enquêtes de Goldoni (Albin Michel, 2014, 2015 et 2016) a même de l’empathie pour cet homme pas drôle qui avait des convictions comme d’autres ont des envies. Ce fin lettré éduqué par les Jésuites et par la lecture de Machiavel avait deux ennemis : la finance et l’aristocratie. Il aimait le peuple et le faisait savoir. Un peu trop fort sans doute pour cette noblesse qu’il va taxer sans vergogne.

En 1759, l’Etat perçoit 300 millions de livres de recettes fiscales pour 400 millions de dépenses, notamment à cause des défaites militaires. Pour combler la dette, Silhouette va donc s’en prendre aux pensions indues et aux exemptions fiscales relatives à la taille, impôt payé par le peuple dont la noblesse et le clergé évitent de s’acquitter.

Trente ans avant la nuit du 4-août 1789, Silhouette est convaincu que la révolution a davantage de chance d’aboutir si elle est menée depuis un ministère plutôt que dans la rue. "Le statut de l’Etat dépend de celui du peuple, écrit-il. Le prince qui le surcharge, loin de s’enrichir, s’appauvrit tous les jours." Ce mutique ne se gargarise pas de paroles. Il veut des actes. Alors il prend des décisions. Pendant que le roi court les plaisirs et la vérole, il décide. Silhouette devient populaire. Sauf à la cour. Il est loué par la rue, la presse, Mirabeau et les philosophes. Voltaire le considère comme un humaniste, un penseur sachant penser, au plus près de la justice sociale. Une gravure représente le ministre donnant le fouet aux fermiers généraux sous les applaudissements de la foule.

On aurait pu lui élever des statues. Il n’eut qu’une esquisse. La noblesse, les financiers et les dévots le détestèrent. Ils décidèrent que de lui il ne resterait qu’un nom, et ce nom serait commun. En 1788, il entre dans le dictionnaire et sort de l’histoire. Une rue le rappelle à Limoges, sa ville natale. C’est une impasse…

Thierry Maugenest a eu raison de ne pas céder aux éditeurs qui voulaient donner à son livre une apparence plus universitaire. Il est, comme Eric Vuillard, avant toute chose écrivain. Mais un écrivain qui se documente, cite ses sources et s’autorise le cas échéant quelques notes. L’histoire n’est qu’un clou auquel il accroche son récit. Ce qui l’intéresse, c’est la perception d’une époque, son éventuelle résonance avec la nôtre et la personnalité de son personnage principal. Avec Etienne de Silhouette, il est verni. Son lecteur aussi. Laurent Lemire

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