Grand prix des bibliothèques 2024

Laurent Binet : « Ma bibliothèque idéale serait ouverte 24h/24 »

Laurent Binet - Photo JF Paga

Laurent Binet : « Ma bibliothèque idéale serait ouverte 24h/24 »

L’auteur de HHhH (Prix Goncourt du premier roman 2010), de La Septième fonction du langage (Prix Interallié 2015) ou encore Civilizations (Grand prix 2019 du roman de l’Académie française) présidera le jury du Grand Prix Livres Hebdo des bibliothèques, en vue de la sélection des meilleurs dossiers que les médiathèques sont invitées à déposer sur le site dédié jusqu’au 31 juillet 2024. L'occasion pour Laurent Binet de se confier sur son rapport aux médiathèques.

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Par Fanny Guyomard
Créé le 23.06.2024 à 14h00 ,
Mis à jour le 24.06.2024 à 10h50

Livres Hebdo : Pourquoi avoir accepté la présidence du jury du Grand Prix 2024 des Bibliothèques ?

Laurent Binet : La notion même de bibliothèque est un idéal que je situe au croisement des rêves humanistes et d'un programme politique plus contemporain, plus communiste en réalité, je ne vois pas d'autre mot : le projet d'une culture accessible à tous, offerte, littéralement à portée de main. Je me voyais donc mal refuser l'honneur de présider un tel jury. Aujourd'hui, on peut considérer qu'Internet offre les avantages d'une bibliothèque mondiale, universelle, accessible en quelques clics et c'est vrai, c'est formidable. Mais tout lecteur sait l'importance de la matérialité physique des livres dans son rapport à la lecture. La lecture dématérialisée est très pratique mais ce n'est qu'un dépannage, un pis-aller, faute de mieux. Ce qu'on veut, c'est l'objet livre dans nos mains. La vraie jouissance passe toujours par la matière.

Quelle est la bibliothèque de votre enfance ?

Des petites bibliothèques de quartier où j'allais essentiellement lire des BD. Mais aussi les CDI du collège : j'avais une vision émerveillée de ces endroits, je me disais qu'au lieu d'être en cours, je pourrais y passer mes journées, dans le calme, à me promener dans les rayons et à lire ce que je veux. C'était mon rêve. 

« La bibliothèque est le fantasme de tout lecteur »

Et étudiante ?

Quand j'ai commencé mes études à Paris, j'allais assez régulièrement à la bibliothèque universitaire de Nanterre. Je me souviens très bien y avoir lu Racine et Shakespeare de Stendhal, c'était l'un des premiers textes de théorie littéraire qui m'avait intéressé. J'ai aussi le souvenir d'un texte de René Char sur la poésie mais je n'arrive pas à retrouver le titre, pourtant il m'avait également beaucoup marqué. Mais je crois que ce qui m'avait marqué était justement le geste consistant à aller dans une bibliothèque universitaire pour y lire un ouvrage théorique : d'une certaine manière, c'est ce qui m'avait fait sentir que je devenais un véritable étudiant. Je suis aussi allé un peu à Beaubourg, qui est un endroit formidable, mais qui était déjà victime de son succès, il fallait faire la queue, arriver tôt, c'était pénible, c'est dommage.

Fréquentez-vous encore les bibliothèques ?

Je suis inscrit à la médiathèque de mon quartier, avec ce système parisien qui permet de connecter toutes les bibliothèques municipales entre elles, c'est très pratique pour faire venir un livre du catalogue. J'emprunte de temps en temps un livre ou un DVD, et mon fils de 8 ans aussi, même si c'est plutôt sa mère qui l'emmène. 

À quoi ressemble votre bibliothèque idéale ?

La bibliothèque est le fantasme de tout lecteur. Umberto Eco en a fait le personnage central de son livre, Le Nom de la Rose, et Jean-Jacques Annaud lui a donné une magnifique traduction visuelle dans le film éponyme. J'ai moi-même écrit une scène importante de La Septième fonction du langage qui se déroule dans la bibliothèque universitaire de Cornell, aux États-Unis. Je connais cette université parce que mon amie de l'époque y était doctorante. C'est d'ailleurs elle qui m'avait initié à la French theory. C'est un magnifique campus comme on peut en trouver aux États-Unis (la fameuse Ivy League, dénommée ainsi parce qu'il y a du lierre sur les bâtiments), et là-bas, les bibliothèques ont ceci d'extraordinaire qu'elles sont ouvertes toute la nuit. Pour moi, c'est ça, la bibliothèque idéale : ouverte 24h/24.

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