6 mai > nouvelles France

Ils ont au moins vingt ans d’écart avec ces jeunes filles qui sortent tout juste de l’adolescence. Parfois beaucoup plus. Ils pourraient être leur père, voire leur grand-père. Ils sont mariés, divorcés, veufs, célibataires. Ce sont Les messieurs, spécimen d’hommes mûrs qui attirent les jeunes narratrices de ces dix-huit nouvelles où Claire Castillon dépèce une nouvelle fois le cœur humain. Depuis 2006 et un premier recueil chez Fayard, Insecte, qui reparaît chez Points, l’écrivaine alterne romans (Les merveilles, Eux, Les pêchers) et petites formes. Après On n’empêche pas un petit cœur d’aimer (Fayard, 2007), Les bulles (Fayard, 2010), Les couplets (Grasset, 2013), tous disponibles au Livre de poche, elle retrouve le format court de la nouvelle qui donne vitesse et force de pénétration à ses mots et semble taillé sur mesure pour son esprit perforant. En outre, elle qui a déjà exercé sa causticité sur le couple, le rapport mère-fille ou la grossesse est particulièrement à son aise dans la déclinaison du thème du vieux qui fraye avec une jeunesse, motif déjà croisé dans La reine Claude (Stock, 2002).

Ici, Claire Castillon a choisi de rester résolument du côté féminin et s’attache à travers des scènes concentrées dans le temps à offrir un aperçu très varié des motivations de ces amoureuses gérontophiles. Goût du défi, de la provocation, du secret, des relations cachées (aux parents, aux compagnes officielles), attractions pour les figures d’autorité (le cliché du professeur et de son étudiante est bien représenté), recherche de substituts paternels, désir d’être materné et de materner… Les combinaisons sont complexes dans ces jeux de rôle où les hommes apparaissent en miroir faibles, menteurs, goujats, pingres, très rarement à leur avantage tandis que les femmes se montrent (ou se voient) "gentilles", c’est-à-dire indulgentes, prévenantes, dévouées, attentives à ménager la susceptibilité, la coquetterie de ces mâles déclinants. "Je lui ai déjà murmuré qu’il était musclé. En réponse, il a marqué un petit contentement déplacé que j’ai feint de ne pas percevoir afin de ne pas le gêner." En dépit de leur âge, elles n’ont rien de tendre, notamment quand il s’agit d’apparence physique : "Il était mince mais mou." Et sont capables de s’obséder sur une mèche de cheveu, "pont traversant son crâne de l’oreille droite à l’oreille gauche" comme "une petite couverture de cerveau" qui dissimule ridiculement une calvitie. "Il rentre le ventre au moment de faire glisser la ceinture de son peignoir et sa façon un peu sautillante de se coucher dans le lit me peine." Cruelles malgré tout et presque malgré elles, d’une férocité qui a souvent l’air candide et sans calcul, elles pointent travers et failles - le goût des expérimentations culinaires de l’un, "le plaidgold de chez Old England" de l’autre et "ses nouvelles dents qui soufflent les gutturales". Et puis il y a toujours le moment où la réalité de la différence d’âge apparaît, dans sa vérité nue.

Claire Castillon n’épargne ni la jeunesse, ni la vieillesse. Elle écrit sans souci de parler la langue contemporaine de ces jeunes filles. Ainsi elles restent des classiques, aussi intemporelles que leur goût pour les hommes mûrs. Véronique Rossignol

15.04 2016

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