C’est une politique qui peut faire peur : que le nombre de documents prêtés dans la médiathèque soit illimité. Elle fait certes des heureux, tel le lecteur bien occupé ou géographiquement éloigné de sa médiathèque qui n’a pas besoin de revenir toutes les semaines. Ou l'amateur de BD et de mangas qui peut emprunter des titres par séries entières.
Mais quid du temps d’attente pour les autres ? « En général, ceux qui prennent de grosses quantités sont de gros lecteurs, et donc les rapportent rapidement », observe Savine Fouénard, de la médiathèque de Saint-Sébastien-de-Morsent, dans l’Eure. Elle a restreint le prêt à cinquante documents, pour quatre semaines. « On a mis une limite, car l’illimité faisait un peu peur aux élus, et c’est beaucoup de documents à ranger derrière », avance-t-elle.
Gérer la rotation
Davantage de livres empruntés, c’est aussi davantage de temps à gérer les retours. Une bibliothèque a ainsi recruté de nouvelles bénévoles pour ranger les livres rendus. Une autre est revenue à trente emprunts maximum, car la navette transportant les documents d’un établissement à l’autre n’arrivait plus à suivre le rythme.
Restent les excès. Une bibliothécaire d’université rapporte les « abus » d’une poignée d’étudiants qui ont rempli une valise de livres juste avant l’été. « Ils vidaient des rayons entiers, donc il n’y avait plus rien pour les autres », affirme-t-elle. Mais cette boulimie n’est le fait que d’une minorité.
Régulation quand même
« Dans les premiers temps, c’est l’euphorie : les lecteurs partent avec des valises de documents empruntés ! Mais comme la durée du prêt est de quatre semaines, ils n’ont pas toujours le temps de tout lire, donc ils apprennent à se réguler », témoigne Sophie Aubin, responsable d’une médiathèque du Beauvaisis (Oise). Avant, les lecteurs pouvaient y emprunter huit documents. Depuis l'absence de limites, le nombre de prêts a doublé.
Pour réguler les retardataires, la médiathèque peut bloquer leurs futurs emprunts, le temps qu’ils rendent les documents dus. La plupart restreignent également le nombre de prêts de nouveautés.
Des pertes d’argent ?
Plus de rotation suppose aussi plus de livres abîmés, donc à racheter. Une bibliothécaire estime qu’avant le prêt illimité, les rachats représentaient un quart du budget d’acquisition, et les nouveautés les trois quarts. Le rapport se serait depuis inversé.
Une autre conséquence : les usagers qui venaient en famille n’empruntent plus que sur une seule carte d’abonnés. Ce qui a pour conséquence une baisse du nombre d’abonnés. « Et les élus regardent le nombre d’abonnés, pas les chiffres de prêt », remarque une bibliothécaire. Une autre incite les parents à continuer à inscrire leurs enfants (c’est gratuit) « pour conserver nos chiffres de lecteurs ».
Gain de temps aussi pour tout le monde
Quant à la crainte que le prêt illimité ne s’accompagne d’une hausse des documents jamais rendus, ce n’est pas flagrant, rapportent les médiathécaires interrogées.
Les bibliothécaires gagnent aussi du temps à ne plus compter les livres empruntés. Quand les prêts étaient limités, ils devaient parfois les répartir sur plusieurs cartes — celle du parent par exemple, qui utilise son compte pour son enfant ayant atteint son quota. C'est ainsi que l'on pourra croiser, dans le réseau du Beauvaisis, une mère de deux enfants empruntant 200 livres par semaine. Et c'est tant mieux !