12 avril > Roman Colombie > Evelio Rosero

On a découvert Evelio Rosero grâce aux éditions Métailié avec Les armées en 2008 qui abordait la question de la guerre civile en Colombie, puis avec Le carnaval des innocents (2016), une farce qui malmenait la figure mythique de Simon Bolivar. Juliana les regarde, ce troisième roman traduit en français, est en réalité le premier de l’écrivain colombien qui, à 60 ans, est à la tête d’une œuvre largement saluée. L’originalité de ce texte, publié en 1986 et qui fut à l’époque finaliste du prix Heralde, est que l’écrivain se met dans la peau d’une fillette de 10 ans et fait entendre avec une impressionnante justesse la voix de Juliana, enfant de la haute bourgeoisie, fille unique d’un ministre et d’une mère au foyer. Elle fréquente un "collège de bonnes sœurs" mais c’est dans le désœuvrement des vacances, dans la très grande maison avec jardin, piscine et bassin à canards que le romancier la saisit. Pendant que le père vaque à ses affaires, la mère boit et fait de drôles de choses avec le chauffeur. Dans la vie de la fillette est surtout récemment entrée la blonde Camila. A peine plus âgée, cette nouvelle voisine a tout de suite fasciné la jeune narratrice car avec ses chaussures à talons et son maillot de bain deux pièces, elle avait l’air d’une "demoiselle" et à l’occasion de leur première rencontre, "elle a demandé tranquillement un verre de vodka avec du jus d’orange et l’a bu". Camila donne l’impression d’en savoir beaucoup plus sur les désirs troubles, attirants et inquiétants, qui animent les adultes. A travers cette amie affranchie, c’est la découverte d’un monde de pouvoir, très érotisé, sur fond de mondanités décadentes. Les femmes, mères distantes et occupées d’elles-mêmes, trompent l’ennui en pariant des maisons et des voitures aux cartes, les hommes, y compris le "gros président bigleux" et le vieux curé à qui Camila prétend tout confesser, ont des comportements plein d’ambiguïté. Dans les observations de la narratrice se télescopent l’innocence et la lucidité. Sous son regard, la réalité familière se distord, révèle des monstres cachés qui suscitent des émois indéchiffrables. Les jeux de déguisements, de cache-cache à huis clos deviennent des initiations que Juliana subit, corps de poupée docile et esprit réfractaire, "pleine d’échos à l’intérieur". V. R.

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