C’est l’heure du livre audio pour la plupart des groupes éditoriaux, qui se retrouveront à l’occasion de la première journée interprofessionnelle du secteur, organisée par l’association La Plume de paon, le 12 juin à l’hôtel de Massa à Paris. Après Actes Sud qui a testé la production de trois titres en 2017, Editis lance en 2018 Lizzie, sa nouvelle marque. Et Madrigall va étoffer le catalogue d’"Ecoutez lire" de Gallimard en intégrant des livres provenant de l’ensemble des maisons du groupe.
Derrière ces investissements éditoriaux, quatre femmes dominent ce secteur en recomposition. Face aux deux challengers, Julie Cartier (Lizzie) et Laure Saget (Madrigall), deux éditrices historiques, Valérie Lévy-Soussan (Audiolib) et Constanze Stypula (Audible). Les unes affichent l’enthousiasme généré par un projet naissant, soutenu par un grand groupe, qui plus est. Les autres sont plutôt dans l’observation mais applaudissent toutefois l’arrivée de nouvelles consœurs. "Plus on produira de titres, plus on développera l’usage, c’est notre bataille. Cela ne pourra être que bénéfique pour tous", déclare Valérie Lévy-Soussan qui siège également à la commission audio du Syndicat national de l’édition. Mais cette nouvelle concurrence ouvre potentiellement la porte à des transferts. Lizzie vient de récupérer Marc Levy, jusqu’ici chez Audiolib, filiale d’Hachette Livre. "On va toutefois garder Guillaume Musso", réplique Valérie Lévy-Soussan. Le mercato a-t-il commencé ?
Constanze Stypula préfère, elle, se tourner vers d’autres horizons, comme l’innovation sonore et sortir de la narration pure pour "stimuler le lecteur" et lui offrir de nouvelles expériences, plus orientée vers le divertissement. Quatre visions, donc, avec des enjeux différents.
Laure Saget, Madrigall: plus court!
Cette passionnée de podcasts, responsable des cessions de droits audiovisuels chez Flammarion depuis 2011, s’enthousiasme dès qu’elle explique ses projets pour le livre audio au sein de Madrigall. Assise derrière le bureau qu’elle partage avec Alain Flammarion, elle annonce "d’abord une montée en puissance" de la production dans la collection historique de livres audio de Gallimard, "Ecoutez lire". Elle passera de 50 à 100 titres par an d’ici à 2020. "Nous allons notamment étoffer notre offre en non-fiction dans des segments comme le développement personnel ou les documents", souligne-t-elle.
Laure Saget souhaite surtout tester de nouveaux formats courts qui seront, en partie, enregistrés en live. La directrice éditoriale et créatrice de la collection d’"Ecoutez lire", Paule du Bouchet, a dans ce sens établi des collaborations avec des acteurs de la Comédie-Française. Puis Laure Saget prévoit d’adapter des textes inédits. "Avec les formats courts, nous proposerons des tarifs plus flexibles et des productions moins intimidantes que les livres audio classiques qui peuvent durer plus de vingt heures", précise-t-elle.
Côté événementiel, la collection de livres audio du groupe Madrigall devrait privilégier des lancements dans des théâtres ou des lieux dédiés au spectacle vivant. Et les sorties des livres lus pourraient progressivement se synchroniser avec les dates de parution des grands formats de toutes les maisons d’édition du groupe.
Julie Cartier, Univers Poche: quand on médite ou qu’on jogge
A peine remise de sa virée à New York avec Marc Levy pour enregistrer la version audio d’Une fille comme elle (Robert Laffont), Julie Cartier se replonge dans la préparation du lancement officiel le 7 juin de Lizzie, la nouvelle marque audio qu’elle dirige chez Univers Poche. L’ancienne directrice adjointe de cette filiale d’Editis chapeaute la production des 21 premiers titres du label qui recouvrent cinq segments, de la littérature au développement personnel. "Nous voulons installer l’usage du livre audio en publiant des titres forts signés par des auteurs reconnus", pointe Julie Cartier, qui cite les adaptations des derniers romans de Michel Bussi ou Franck Thilliez. Lizzie vise une production de 200 titres par an à partir de 2019.
Côté distribution, l’éditeur veut s’implanter "partout" mais surtout encourager la mobilité. "Le livre audio peut-être écouté lorsqu’on pratique le jogging ou la méditation. A ce moment-là, on peut imaginer des PLV dans des magasins de sport ou des agences de voyage", explique-t-elle.
Si pour le moment les livres lus sont réalisés dans des studios extérieurs, Lizzie envisage une production partielle de ses titres en interne à partir de 2020, moment où les locaux d’Editis déménageront.
Valérie Lévy-Soussan, Audiolib: la voix de l’expérience
Contrairement à ses concurrentes, Valérie Lévy-Soussan, la directrice générale d’Audiolib, refuse de communiquer sur la stratégie qu’elle va mener ces prochains mois. "Audiolib existe depuis dix ans. Nous avons déjà mis en place plusieurs des initiatives que les autres maisons d’édition sont tout juste en train de lancer. Nous allons de l’avant, vous comprenez donc bien pourquoi je ne dévoilerai rien", glisse-t-elle, sourire en coin.
Valérie Lévy-Soussan sait de quoi elle parle. Avant de fonder Audiolib en 2008, elle a travaillé dans le livre audio chez France Loisirs avec Audible, devenu depuis une filiale d’Amazon. Chez Audiolib, elle s’est imposée sur le marché avec un catalogue de littérature contemporaine tiré par des best-sellers, "mais aussi par des coups de cœur comme La daronne d’Hannelore Cayre", nuance-t-elle.
Surtout, Audiolib ne s’est pas limité aux textes lus mais a proposé des bonus dans ses CD, comme des entretiens avec les auteurs. "Puis nous avons beaucoup réfléchi aux lancements, en proposant des "booktrailers", en accompagnant le Camion qui livre du Livre de poche qui parcourt pendant l’été les plages de France", énumère cette amoureuse de "la transmission du savoir par l’oralité". Saluant l’arrivée de nouveaux éditeurs sur le marché du livre audio ("ça va développer l’usage"), elle ne craint pas de futurs transferts au détriment d’Audiolib. "Nous n’allons pas resserrer la production autour des auteurs Hachette", assure-t-elle, confiante.
Constanze Stypula, Audible: le style omnisonore
Cette Allemande dit avoir acheté son premier livre audio chez celui qui deviendrait, plus tard, son employeur, Audible. Depuis 2011, Constanze Stypula a construit sa carrière dans cette filiale d’Amazon, d’abord en Allemagne, où elle a été responsable du contenu audio, ensuite en France, pays qu’elle affectionne, où elle a relancé en 2015 Audible France. "Depuis notre arrivée dans l’Hexagone, nous avons lancé une stratégie fondée sur le développement de l’usage. Cela passait forcément par une augmentation de l’offre", rappelle-t-elle.
Avec un investissement annuel de 3 millions d’euros, le catalogue d’Audible.fr est passé de 2 500 références en 2015 à 8 500 en 2017. L’arrivée de nouveaux concurrents "est une bonne nouvelle. Nous allons pouvoir nous concentrer sur notre cœur de métier : la distribution. Nous allons surtout favoriser l’innovation."
Audible souhaite ainsi "faire vivre de nouvelles expériences aux auditeurs avec des formats en 3D". Après Alien et X-Files en version "omnisonore", la filiale d’Amazon lance en juin une première production érotique française. "On stimule l’imagination de l’auditeur, nous travaillons avec d’autres techniques, d’autres habillages sonores", ajoute la responsable d’Audible.fr. La marque va d’ailleurs poursuivre ses recherches dans un studio propre qui sera opérationnel début 2019.