Sur la route, à nouveau. On connaît l'adage italien traduttore, traditore, « le traducteur est un traître ». C'est entendu, une traduction ne saurait faire passer d'une langue à l'autre tout le nuancier des couleurs et des sentiments propre à la langue source. Pour des raisons et lexicales et syntaxiques : certains mots n'existent pas dans la langue d'arrivée ; la grammaire est parfois si différente qu'on traduit, par exemple, en employant des temps alors que tel groupe linguistique ignore la conjugaison... Dans le cas de Mia Couto, là n'est pas le problème, ou plutôt la gageure. Le grand écrivain mozambicain né en 1955 écrit dans une langue romane bien connue : le portugais. Mais tout l'art de cet auteur lusophone est d'avoir forgé un idiome propre, un portugais mâtiné d'expressions africaines, foisonnant d'images et de sonorités bantoues pour déployer une écriture baroque et créolisée. Son premier roman Terre somnambule, paru en 1992, est traduit à nouveau aux éditions Métailié par Elisabeth Monteiro Rodrigues qui rend compte du génie langagier de Mia Couto engendrant des mots-valises et autres trouvailles poétiques en recréant à son tour des néologismes hauts en couleur. Ainsi rencontrera-t-on le verbe « s'enfantiner » ou l'épithète « squeletteux ». Pour le lauréat du prix Camões (2013) et, en automne 2024, du prix FIL de littérature en langues romanes, la langue doit s'émanciper de l'orthodoxie syntaxique.
Appartenant à la génération de la décolonisation, Mia Couto, de parents portugais émigrés au Mozambique, s'est engagé pour l'indépendance du pays. Il a été profondément marqué par la guerre qui a ravagé sa terre natale - la lutte anticoloniale qui a dégénéré en guerre civile (1977-1992)... Terre somnambule raconte la pérégrination désolée d'« un vieux et un gosse » à travers un Mozambique à feu et à sang. Le vieux Tuahir a recueilli Mudinga un garçon qui a tout perdu. Sur la route, les voilà face un machimbombo, un autobus, calciné avec ses passagers à l'intérieur. Gît là également un cadavre qui n'a pas brûlé, l'homme a été tué par balle, près de lui une valise, où se trouvent des cahiers demeurés intacts. Ces feuilles racontent l'histoire d'un certain Kindzu et ouvrent un autre chemin qui se dédouble avec celui de l'errance des deux protagonistes, entre magie et réalité. « Qu'est-ce qui fait marcher la route ? C'est le rêve, dit Tuahir. Tant que nous rêvons, la route demeure vivante. »
Terre somnambule
Métailié
Traduit du portugais (Mozambique) par Elisabeth Monteiro Rodrigues
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 21 € ; 256 p.
ISBN: 9791022614160