Rafael Alberti disait d'elle « qu'elle avait le sourire d'une jeunesse immortelle ». C'était une photographe, ce fut une oubliée de l'Histoire, c'est devenu une icône. Gerda Taro (1910-1937), qui ne fut pas que la femme de, fût-ce celle de Robert Capa. Elle le rencontra à Paris, à l'heure de la montée des périls. elle s'appelait encore Gerta Pohorylle, venue de Stuttgart, et lui, Endre Friedmann, de Budapest. Elle l'aima, écrivit pour lui les premières pages de sa légende et le suivit en Espagne, lors d'une guerre civile qui, en quelque sorte, inventa le photojournalisme. L'un et l'autre y photographièrent l'espoir, la fatigue, la dignité et surtout la mort. Mais elle seule la trouva, du côté de Brunete, le 26 juillet 1937, renversée, tragique ironie, par un char républicain. Elle allait avoir 27 ans. A son enterrement au Père-Lachaise, sur sa tombe dessinée par Giacometti, Aragon et Neruda dirent sa beauté fervente. On la pleura et puis on effaça jusqu'à son souvenir, comme enfoui à jamais sous le mythe naissant de celui qui avait été son compagnon. Il fallut attendre près d'un demi-siècle pour que son œuvre, sa figure même, soit enfin redécouvertes. La littérature tint dans cette affaire les premiers rôles.
En 2006, François Maspero publiait au Seuil le très beau livre L'ombre d'une photographe, Gerda Taro. Il lui redonnait toute sa place. Il y eut d'autres ouvrages (notamment, l'an dernier, chez Actes Sud, La fille au Leica d'Helena Janeczek). Peu, tout de même, qui aient l'empathie aussi fervente que ce Regarder avec lequel Serge Mestre, fils de républicains espagnols, confirme que des Plages du silence à Ainadamar, il est bien dans nos lettres françaises l'indispensable et inconsolable passager de la tragédie de la guerre civile. Ce qu'il parvient à faire ici avec Gerda Taro est un modèle d'élégance, morale et littéraire. Ce n'est pas un tombeau qu'il lui offre, mais un refuge, un foyer de mémoire, une mise en demeure en quelque sorte. Terrible et, à sa façon, terriblement poétique. C'est donc quelque chose comme une passion. Une passion simple.
Regarder
Sabine Wespieser
Tirage: 3 500
Prix: 19 euros ; 232 p.
ISBN: 9782848053042