16 février > Premier Roman Royaume-Uni >Yelena Moskovich

Naguère dans les maisons bourgeoises, quel que fût son prénom, la bonne était appelée "Marie". Avec les mouvements migratoires, on a pas mal employé de personnes venues de la péninsule Ibérique, que le mépris a affublées du nom de "Conchita", diminutif de María de la Concepción. La langue trahit toutes les violences sociales. Au lexique péjoratif pourraient s’ajouter les "Natasha" pour dire "filles de l’Est" (Russie, Ukraine, Pologne et autres pays de la Mitteleuropa ou des Balkans), à savoir prostituées à peine pubères et surexploitées. Les Natasha, c’est le titre du premier roman de Yelena Moskovich, Ukrainienne de langue maternelle mais écrivant en anglais.

Dès les premières pages on est plongé dans le huis clos d’une conversation à bâtons rompus entre des jeunes filles, fleurs en serre (la maison est fort close). Qui avec clope au bec, qui aux cheveux roux et secs, qui à la tignasse grasse et au long cou, qui au vernis rouge Mercedes. Toutes se nomment Natasha. Elles sont parfois qualifiées d’un sobriquet ou d’un rôle : Natasha-Tournesol, Natasha-en-chef… Si le lecteur ne fait pas immédiatement le lien avec le récit qui suit, il sent bien que les épisodes relatifs aux Natasha et qui scandent la narration fonctionnent comme un leitmotiv littéraire et dramatique à la manière du chœur dans la tragédie grecque.

Car il s’agit bien d’autres vies a priori sans rapport. Notamment, Béatrice, chanteuse de jazz, hantée par un mystérieux double féminin, Polina, qu’elle a vue surgir pour la première fois dans le miroir à l’adolescence, au même moment où naissaient sur sa propre poitrine ses jeunes seins. "Miss Monroe", son surnom de jeunesse, doit se dépatouiller avec cette féminité qui lui colle à la peau. César, quant à lui, est l’acteur mexicain, "différent de ses frères", "parce qu’il gardait une pulsation secrète dans son cœur, que ses parents nommèrent "le gène de l’artiste", ce qui pour tout le monde signifiait "homosexuel"". Pour exorciser ses complexes, il va endosser une personnalité de macho misogyne, auditionnant pour le rôle d’un tueur en série. Les Natasha, telles les Erinyes des fantasmes obscurs, parlent de la condition du trafic sexuel, elles tendent surtout la toile de fond d’un roman sulfureux à l’intrigue inquiétante et onirique, à l’atmosphère lynchienne. Sean J. Rose

03.02 2017

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