Allez savoir pourquoi... Pourquoi certains livres, dont le pitch ne paraît de prime abord guère différent de beaucoup d'autres, rencontrent leur époque, sa jeunesse, et paraissent l'illustrer d'une lumière à la fois familière et différente... Il y eut L'attrape-cœurs, Bonjour tristesse, American Psycho et quelques autres. Cela faillit être le cas du premier roman de l'Irlandaise Sally Rooney, Conversations entre amis (L'Olivier, 2019), qui réconcilia critique et public en une identique admiration. Ça l'est pour de bon de son second, Normal People, vendu à plus d'un million d'exemplaires des deux côtés de l'Atlantique et déjà adapté en série (disponible en France sur la plateforme StarzPlay).
L'histoire ? Celle, éternelle, du garçon qui rencontre une fille. Connell et Marianne ont grandi dans la même petite ville d'Irlande, fréquentent le même lycée (où ils sont considérés comme les meilleurs élèves de l'établissement) mais pas le même milieu, Connell ne rencontrant vraiment Marianne que lorsqu'il va chercher sa mère célibataire qui fait le ménage dans le foyer de la jeune fille. Il est beau, sportif et a tout pour être le chouchou des siens, si ce n'est une certaine forme de timidité ou de réserve. Elle cultive plus volontiers son goût pour la solitude et son mépris du qu'en-dira-t-on. Ces différences, même sociales, ne suffiront pas à les jeter dans les bras l'un de l'autre, ni à les dissuader de suivre les mêmes études supérieures de lettres, à Dublin cette fois-ci. C'est là que les choses entre eux se troubleront car chacun ne peut composer avec sa propre « anormalité » dans un monde qui se révèle bien vite excessivement normatif. Il y aura des départs, des retours, d'autres filles et d'autres garçons, et aussi les aléas d'un désir violent, toujours partagé, mais qui n'ose vraiment se dire, seulement se vivre.
On a dit de Normal People que c'était du « Jane Austen pour millenials ». C'est une formule, mais il y en a de moins justes. Sally Rooney a le don de faire pénétrer son lecteur dans les contradictions les plus intimes, les chagrins les plus refoulés de ses deux héros dont on ne sait jamais vraiment s'ils courent à leur perte ou vers leur salut. Tout ceci- ces atermoiements du cœur, des corps - est d'une justesse absolue et ne s'embarrasse jamais d'aucune facilité. Beau travail.
Normal People Traduit de l'anglais (Irlande) par Stéphane Roques
L’Olivier
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 22 € ; 320 p.
ISBN: 9782823615241