C’est une histoire de ravissement et d’adoubement, d’un premier amour licencieux et fervent, idolâtre et fétichiste, retrouvé des années après que la passion a cessé de brûler.
La narratrice se souvient de ses 16 ans dans la chaleur de l’été corse, quand, cloîtrée dans le parc à bungalows d’un parent chaperon, elle passait ses journées à attendre et à espionner une fille plus âgée qu’elle et qui la troublait. Une fille aux yeux verts qui se baignait nue dans les criques avec "son amie", l’interpellait par son nom de famille, buvait, fumait, évoquait New York où elle avait vécu, habitait surtout avec confiance un corps mince et affranchi que l’adolescente enviait. Au début, "[l]’envier n’était pas le désirer. Je ne voulais pas l’avoir, je voulais l’être - elle". Avant que ne naisse "le désir de l’étreindre". "J’étais happée par ses chutes, sa solitude, sa liberté haranguée par-dessus les abîmes, ses exaltations et ses injonctions à vivre, une connaissance qu’elle semblait avoir de l’urgence et que je possédais aussi." Mais "aimer une fille n’allait pas de soi": il fallait affronter la peur, plus tard la honte. Avoir de l’audace pour oser s’approcher de quelqu’un de son genre, s’aventurer avec Ce genre de fille sur ces chemins inconnus et interdits. L’embrasser? "C’était un secret, un risque, une cachette, une absence, un saisissement qui durait, la brûlure. Y penser encore, languir, tenir - audace ! Fière alors d’un chagrin inédit, inavouable, supérieur." Car très vite, il faudrait affronter le manque de cet amour empêché.
Longtemps après les premiers mots écrits sur une nappe en papier, après les rencontres intermittentes, après les lettres reçues et envoyées, après les parenthèses enchantées - "[n]ous avions retrouvé l’espérance, ne parlions de rien, prenions au sérieux les choses petites. Le soir, je fabriquais un rideau de fortune avec des pinces à linge et une serviette" -, après les hivers et les éclipses - "il m’est arrivé de l’oublier longtemps" -, après la fin de la jeunesse, voir les années abolies dans un "bonjour, précipité d’amour dans ce seul mot natal", dans un geste anodin, dans une conversation de reconnaissance.
Après Une saison (Arléa, 2013), Ce genre de fille, beau roman qui célèbre le goût doux-amer de la loyauté à un amour fondateur, est le deuxième roman de Sylvie Bocqui.
Véronique Rossignol