Il était sans aucun doute l’un des écrivains israéliens les plus doués de sa génération. Amir Gutfreund s’est éteint il y a deux ans. Toutefois, son œuvre continue d’être publiée chez Gallimard, qui l’avait repéré avec Les gens indispensables ne meurent jamais (2007), un roman culte sur la transmission de la Shoah, étudié dans les écoles de son pays. Nullement prédestiné à la littérature, cet ancien colonel de l’armée de l’air était spécialisé dans les mathématiques appliquées.
L’homme, d’une grande douceur, semblait d’ailleurs toujours avoir la tête dans les nuages. Il portait sur la vie un regard poétique influencé par Bruno Schulz, auquel il rend hommage dans ce polar original. "Tous les livres tendent à l’Authentique", écrit ce dernier. Une phrase magnifique retrouvée sur les lieux d’un crime sordide. Ainsi débute La légende de Bruno et Adèle qui secoue Tel-Aviv. Cette ville branchée, qui ne dort jamais, vit un vrai cauchemar : des meurtres mystérieusement mis en scène. Yona Marlin est chargé de les élucider. Ce commissaire, père de jumeaux, possède "l’art de savoir s’immiscer sans scrupule dans les tréfonds de l’âme des témoins et des suspects. Il fallait user de ruses. Et être chanceux."
Cette fois, il fait néanmoins appel à des soutiens inattendus, un professionnel, des graffitis et une adolescente intello. Zoé "ne croyait aucun homme, aucun être humain". Ne se fiant qu’à la littérature, elle découvre que les citations inscrites près des cadavres sont issues d’un recueil de nouvelles, Les boutiques de cannelle. Gutfreund avoue dans sa postface qu’elles lui ont fait l’effet "d’un produit de contraste, qui me bouleverse sans cesse". D’autant que le destin de Bruno Schulz est tragique. Son double hante les pages de ce roman-ci.
Le suspense littéraire est restitué par toutes les voix concernées : les victimes, les enquêteurs et l’assassin. Celui-ci est le plus intrigant : pourquoi ce fils de bibliothécaire cultive-t-il une vengeance aussi lyrique ? Quelle est sa logique, sa blessure originelle ? En quoi les personnages sont-ils tous liés les uns aux autres ? Une course contre la montre dans les ténèbres de l’amour, de la famille et d’une société israélienne si contrastée. K. E.