Livres Hebdo : Quelles sont les premières actions que vous comptez mener en tant que nouvelle présidente du SLF ?
Alexandra Charroin-Spangenberg : Je souhaite aller à la rencontre des libraires et de leurs associations pour me présenter, mais surtout pour m’imprégner le plus finement possible des attentes et des priorités de notre profession. À court terme, je veux m’assurer que le Pass culture, qui contribue efficacement au renouvellement du lectorat, ne sera pas remis en cause, tout comme la dérogation au raccourcissement des délais de paiement en faveur du livre, votée par le Parlement européen.
Quels objectifs visez-vous à plus long terme ?
Les objectifs du syndicat sont divers et variés. Si je ne devais en retenir qu’un seul, ce serait la nécessité de garantir le modèle des librairies. Celui-ci passe par un rapport particulier à la création éditoriale, aux textes et aux catalogues des éditeurs, par une relation à nos clients qui est naturellement d’ordre commercial, mais également humaine et, enfin, par un lien particulier aux territoires dans lesquels nous sommes implantés. C’est cette alchimie qui fait le charme des librairies, leur singularité et qui les rend indispensables dans nos vies de lecteurs.
Revaloriser le métier de libraire
Le SLF ne cesse de rappeler que ce modèle, loué par beaucoup, a néanmoins un coût. Nos charges « qualitatives », à commencer par l’investissement dans des équipes nombreuses et qualifiées, doivent être mieux prises en compte dans les relations commerciales. Je dirige une équipe de 30 personnes, j’ai été présidente de la commission sociale du syndicat, je suis donc bien placée pour mesurer la nécessité d’assurer à nos libraires des salaires décents pour rester attractifs et pour garder dans nos effectifs les personnes de qualité que nous formons. En cela, je m’inscris dans la continuité du travail que le syndicat mène depuis plusieurs années sous l’impulsion d’Anne Martelle lorsqu’elle était présidente et d’Amanda Spiegel qui, en plus d’être vice-présidente à mes côtés, préside la commission commerciale.
Touchées par l’inflation, et donc par la baisse du pouvoir d’achat, de plus en plus de librairies témoignent de difficultés économiques. Quelles actions le SLF peut-il mettre en place pour améliorer leur situation ?
Nous avons trois types de leviers à notre disposition. Le premier, c’est ce que les libraires peuvent faire par eux-mêmes, dans leur librairie ou grâce aux outils que la profession met à leur disposition comme l’Observatoire de la librairie, Verso ou les formations de l’École de la librairie. Des marges de progression existent encore sans doute en librairie, mais elles seront insuffisantes sans l’appui de nos partenaires, les éditeurs, diffuseurs et distributeurs d’une part, et les pouvoirs publics d’autre part.
En la matière, je reprends pleinement à mon compte les priorités du SLF : la généralisation d’une remise minimale à 37 %, la suppression du « plafond de verre » à 40 % pour les plus grandes librairies, la poursuite de la baisse de la production, une répartition plus équitable des frais de transport, par exemple par un franco de port sur l’office, ou encore la réduction du rabais aux collectivités à 5 % au lieu de 9 % actuellement. Ce sont des mesures raisonnables, peu coûteuses, mais qui changeraient profondément le quotidien des librairies et qui nous permettraient de revaloriser les rémunérations de nos équipes et de fidéliser des libraires expérimentés et de qualité.
Post-Covid, en 2022, 142 nouvelles librairies ont été créées. Est-ce que ce chiffre a atteint son apogée ? Pourrait-il aussi expliquer, en partie, les difficultés rencontrées par les librairies indépendantes ?
En librairie, le chiffre d’affaires se maintient globalement grâce à la revalorisation des prix éditeurs, les ventes en volume baissant depuis plusieurs mois. Nos difficultés viennent surtout de cet « effet ciseaux » entre, d’une part, la stagnation du chiffre d’affaires et des remises commerciales et d’autre part, la hausse significative et continue de nos charges.
L’inventivité au service de l’écologie
La multiplication des créations de librairies montre que le métier de libraire est attractif, ne nous en plaignons pas ! C’est l’inverse qu’il faudrait craindre. Là où cette création peut devenir problématique, c’est quand des gens se lancent dans le métier par romantisme, sans en maîtriser toutes les facettes et toutes les contraintes, ou quand ils s’implantent dans des zones déjà saturées. Nous devons donc poursuivre, avec les partenaires qui forment ou qui financent ces futurs libraires, les actions de professionnalisation afin que ces projets servent la diffusion du livre et l’animation des territoires et non l’inverse.
Les diffuseurs et distributeurs ont rencontré, eux aussi, quelques désagréments. Quel a été l’impact sur les commandes, les mises en place et les réassorts en librairies ?
Les libraires sont tributaires de leurs fournisseurs. Quand ceux-ci subissent des cyberattaques ou connaissent des péripéties industrielles, ça a toujours des conséquences sur notre activité et sur nos clients, avec, par exemple, un rallongement des délais de livraison ou l’absence d’un titre… Je suis consciente que la distribution est une activité industrielle soumise à de nombreux aléas. Lorsque les distributeurs en sont victimes, il faut impérativement qu’ils communiquent en toute transparence auprès des libraires et qu’ils engagent des actions permettant de limiter les impacts sur notre profession.
L’écologie est également une thématique importante pour le SLF, qui propose déjà d’accompagner les libraires vers une forme de transition. Sont-ils nombreux à s’y intéresser ? Comment souhaiteriez-vous voir évoluer la tendance sur l’ensemble de la chaîne du livre ?
Oui, les libraires y sont sensibles, car ils ont une relation équilibrée à l’économie et un attachement fort au territoire comme aux relations humaines. Quand on défend la diversité éditoriale comme la liberté de créer, on supporte difficilement les perspectives d’uniformisation du monde ou d’asservissement de la nature… Nous accompagnons donc les libraires pour qu’ils mettent en place des mesures concrètes à leur échelle.
Pour autant, au niveau de la filière, l’essentiel de l’empreinte écologique se situe en amont, au niveau de la fabrication, de la surproduction et des flux. Je suis surprise par l’incapacité de la filière à faire preuve d’imagination et à lancer des expérimentations, comme si nous pouvions nous satisfaire de la situation actuelle. En matière de fabrication, de transport, de gestion des retours, nous pourrions sans aucun doute être plus inventifs. Alors n’attendons pas que cela nous soit imposé de l’extérieur, par de nouvelles normes ou par l’évolution des comportements de nos clients.