28 septembre > Roman Etats-Unis > Jonathan Safran Foer

"Me voici". C’est, selon la Bible, ce que répondit Abraham lorsque Dieu lui demanda d’offrir son fils Isaac en sacrifice. C’est aussi ce que de nos jours à Washington DC Jacob Bloch, un scénariste pour séries télévisées plus ou moins tendance, pourrait répondre au proviseur du lycée de son fils Sam, lorsque celui-ci est accusé d’injures racistes et que ce soupçon remet en cause sa prochaine bar-mitzvah. Mauvais karma en tout cas pour Jacob, puisque dans le même temps sa femme Julia découvre sur un téléphone appartenant à son mari une série de textos pornographiques, et ce alors que leur couple, après des années de mariage apparemment heureux, montre des signes inquiétants de faiblesse. On pourra compter sur les autres membres de la famille, Irv, père de Jacob, un rabbin se faisant de la provocation médiatique une spécialité, ou Max et Benjy, ses autres enfants, pour participer au désordre ambiant. De même qu’on peut compter sur le monde pour cela, à l’heure crépusculaire du terrorisme mondialisé et de l’anéantissement possible d’Israël.

Tout cela, ce désastre contemporain, incluant un divorce, une théorie de la masturbation, un suicide, un tremblement de terre et diverses autres calamités, c’est donc Me voici, le nouveau roman de Jonathan Safran Foer, le premier depuis plus de dix ans et Extrêmement fort et incroyablement près (L’Olivier, 2006), peut-être aussi le plus beau. Récit avant tout de la désagrégation d’un mariage (celle du monde autour des personnages n’intervenant que comme écho ou commentaire), il renverra le lecteur de Safran Foer à sa séparation avec Nicole Krauss avec qui le romancier formait jusqu’en 2014 le couple star du New York littéraire de ce début de siècle. Il est aussi permis de lire ce roman comme une "réponse" aux Furies de Lauren Groff (L’Olivier, 2017) et plus sûrement sans doute au Opération Shylock de Philip Roth, dont il partage l’ambition folle d’embrasser dans le désordre tous les réels autant que le caractère de comédie noire, atrocement drôle et baignée de tragédie. La famille ici est un monde en soi, à jamais perdu, à jamais retrouvé. Olivier Mony

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