Pour cette étude, l’Injep a choisi de se concentrer sur 80 adolescents évoluant entre 11 et 18 ans. Leur appartenance au milieu populaire a été définie par la catégorie socioprofessionnelle de leurs parents mais aussi par leur lieu d’habitation, tous situés dans un QPV (quartier prioritaire). L’observatoire a également décidé d’axer son étude sur trois villes : Bourgoin-Jallieu, Villejuif et Dammarie-Les-Lys. La forte territorialisation du rapport témoigne d’une volonté d’examiner des territoires intermédiaires soit des quartiers populaires de ville moyennes ou de proche banlieue.
Mangas et romances
Au-delà d’un constat fait depuis déjà plus de 40 ans - « la lecture de livres est en recul à l’échelle nationale depuis les années 1970, et les classes populaires, comme les jeunes, sont particulièrement concernées » -, l’étude identifie la diversité des pratiques de lecture qui subsistent. Effectivement, on remarque que si une majorité de jeunes ne lit pas, une autre partie fait un usage très spécifique de cette dernière. Globalement genré, on retrouve dans les trois villes la lecture de mangas et de BD pour les garçons et celle de chroniques sentimentales via Whattpad, pour les filles.
L’utilisation du numérique, grâce à l’application Whattpad et grâce aux scans (des images numérisées de mangas disponibles gratuitement sur des sites spécialisés), montre aussi l’importance du smartphone comme support de lecture. Ces derniers, ainsi que le genre de la BD ou du manga, permettent l’ajout d’images, élément essentiel pour de nombreux jeunes lecteurs : « C’est beaucoup plus facile à se repérer. Par exemple, quand ils voient un personnage, ils le mettent en photo sur Wattpad. »L’école à la traine
Une autre donnée ressort de l’étude, les jeunes qui lisent appréhendent la lecture par le biais de conseils de proches ou de bibliothécaires. L’analyse de l’échantillon des jeunes de Bourgoin-Jallieu et de Villejuif montre d’ailleurs que les rares lecteurs assidus proviennent majoritairement du segment le plus favorisé socialement et dont les parents conseillent des livres. Les ouvrages imposés en cours sont, pour une grande partie, rejetés bien que cela « pose problème à l’école ». Les jeunes expliquent ce dégout par la difficulté à s’identifier aux personnages de l’histoire qu’ils jugent loin de leurs préoccupations : « J’aime vraiment des histoires d'aujourd'hui, de ce qui m'arrive en ce moment. [...] En fait, j'aime beaucoup les livres d'histoires réelles, par exemple Molière et tout ça, non – j’aime pas beaucoup les pièces de théâtre. » explique Émeline, 14 ans.
La lecture reste un objet culturel discriminant socialement et, malgré quelques pratiques bien présentes, le livre n’est pas l’apanage des jeunes en quartiers populaires.