Tout commence sur le trottoir, par une bande podotactile menant au troisième étage de la médiathèque José Cabanis (Toulouse), pôle Œil et la Lettre créé en 2004. La cabine pour les malvoyants se compose d'ordinateurs en loupe et contrastes élevés, claviers en gros caractères raccordés à une imprimante en braille. On y trouve encore un logiciel de reconnaissance vocale pour créer des courriers, et le lecteur daisy, disponible au prêt, qui permet d'écouter un livre lu (par une association comme les Donneurs de voix) sans avoir à payer de droits. Pour apprivoiser ces outils, direction la cabine « salon numérique », où Jean-Michel, le bibliothécaire malvoyant, donne des cours particuliers. On y trouve aussi, pour les invalides moteur, des ordinateurs avec des souris qui réduisent les mouvements incontrôlés. C'est aussi dans cet endroit au calme que sont reçues les personnes déficientes intellectuelles.
La dernière cabine, c'est « langue des signes », où, par exemple, un muet appelle un interprète qui traduit en direct la conversation avec la banque. David, le bibliothécaire sourd de l'équipe, n'est pas loin. « C'est important d'avoir des personnes handicapées dans le personnel, qui nous disent quoi améliorer. L'arrivée de David a permis de toucher la communauté sourde », commente Anne Couanon, responsable du pôle. À venir : des tablettes avec traduction en langue des signes pour que tous puissent converser avec ceux qui ne parlent pas la LSF dans toute la bibliothèque. L'échelle est encore plus grande pour les livres en braille prêtés gratuitement dans toute la France. Un tome de Harry Potter, c'est 26 volumes en braille. Costaud.
La Coop' (Lorrez-le-Bocage) : Insérer les habitants sur le marché de l'emploi
Une bibliothèque et un Pôle emploi dans un même lieu ? Plus exactement, une Maison de services aux publics, qui signifie que le bibliothécaire est formé à accompagner les visiteurs dans leurs démarches administratives sur Internet. À Lorrez-le-Bocage (Seine-et-Marne), commune de 1 200 âmes où le taux de chômage des 15-64 dépassait 14 % en 2017, les utilisateurs des ordinateurs « sont principalement des demandeurs d'emploi », explique Cendrine Nougué, la directrice de la bibliothèque.
« Ils viennent faire des CV, scanner des documents, mettre chaque mois leur dossier à jour. Viennent aussi des personnes en rupture numérique qui ne savent pas naviguer sur Internet.
Mais on ne fait pas à leur place, sinon ils n'apprendront jamais. » Le mercredi matin, c'est alors le moment du café numérique, chacun basé sur une thématique (qu'est-ce qu'une application, et laquelle utiliser pour parler à ses petits-enfants ?). Les collégiens aussi ont souvent besoin d'aide, avec le logiciel de vie scolaire Pronote notamment. « Et on leur apprend à aller chercher de l'information ailleurs que sur Wikipédia... » De futures têtes.
Médiathèque de Nanterre : Des jeux vidéo inclusifs
Non, les jeux de bagarre ce n'est pas que pour les garçons, et les princesses pour les filles. « Et il ne faut pas que ce soient seulement des animateurs hommes qui tiennent les manettes », ajoute Sophie Agié-Carré, gameuse et responsable de la médiathèque des Fontenelles à Nanterre (Hauts-de-Seine). Les règles du jeu : « inclure un maximum de publics, de tous les genres, âges et handicaps ». Pour attirer les personnes âgées, elle s'appuie sur les collègues des missions de quartier, qui sont en lien avec le club senior de la ville. Les médiateurs disputent des parties avec eux, et petit à petit les usagers s'ouvrent aux autres.
L'intégration se joue aussi entre bibliothécaires : « L'animation ne doit pas être réservée à l'expert en jeu vidéo, qui doit partager ses connaissances. Tous les médiateurs doivent être polyvalents. » Les six médiathèques du réseau mutualisent leurs idées dans un groupe de travail, en lien avec une communauté de bibliothécaires sur les réseaux sociaux, qui réalise une veille resserrée pour repérer les jeux inclusifs. « Les jeux sont de moins sexistes ou racistes, même s'il y a encore peu de héros noirs en jeu vidéo et que c'est compliqué, en bibliothèque, de proposer un jeu où l'on personnifie son avatar, remarque Sophie Agié-Carré. Mais dans la dernière extension de World of Warcraft, il y a un personnage trans. Et le dernier Call of Duty donne la possibilité d'incarner un personnage masculin, féminin ou non genré. » Bien joué.
Bibliopi (Paris) : Ludovic Pellegrini, le bibliothécaire sourd de la Canopée des Halles
Il est l'auteur de vidéos punchy et colorées, parfois flanqué d'une perruque blonde accrocheuse, ses mains qui dansent. Ludovic Pellegrini est l'un des sept bibliothécaires sourds des médiathèques de Paris. En 2015, cinq d'entre elles se sont regroupées sur une plateforme commune (avec site Internet, compte Facebook et Youtube) appelée Bibliopi - Pi, car « c'est une expression tyPIquement Sourde », éclaire-t-il. Des traits typiques, mais aussi des spécificités : « il y en a qui sont appareillées et d'autres pas. Certains peuvent lire sur les lèvres et parler, d'autres préfèrent utiliser les applications de transcription audio en texte ou communiquer par écrit avec les usagers entendants », explique-t-il. Entendants ou non se mélangent lors de l'heure du conte pour les 4-7ans et les performances littéraires pour les adultes, traduites en direct par un interprète.
D'autres rencontres sont uniquement en langue des signes français, comme les ateliers de conversation destinés aux entendants et aux sourds étrangers, ou les ateliers créatifs un samedi par mois à la Canopée des Halles, où œuvrent Ludovic Pellegrini et ses collègues initiés. « On veut pousser encore plus loin le concept de l'inclusion, en faisant participer encore plus les collègues entendants », se projette-t-il. Sa spécialité à lui : « Soigner les visuels de la com', informer et divertir le public en même temps, et gagner en capital sympathie ! » Et ses conseils pour les bibliothèques qui souhaitent mieux accueillir ces publics : engager une personne sourde signante polyvalente et former toute l'équipe.