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Résidences d'auteurs : les bibliothèques s'y mettent aussi

L'illustrateur Jérémy Fisher était en résidence à Tours en avril et mai dernier. - Photo Libr'enfant

Résidences d'auteurs : les bibliothèques s'y mettent aussi

Accueillir un auteur en résidence permet aux médiathèques de devenir des lieux d'échanges privilégiés entre l'artiste et les habitants. Panorama des initiatives et conseils pratiques.

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Par Fanny Guyomard
Créé le 20.12.2021 à 10h00

La tendance est aux bibliothèques-lieux de vie pour les habitants. Mais aussi pour les artistes. La BNF a lancé sa résidence d'auteurs en 2017. Sans cibler directement les médiathèques, le Centre national du Livre (CNL) nous indique vouloir développer des résidences d'auteur dans les lieux quotidiens. Cet été, la Ville de Montpellier annonçait vouloir faire des médiathèques des lieux de résidence d'artistes, « afin que ces derniers réalisent, au plus près des habitants, des projets de création et de transmission, solidement ancrés dans les quartiers ».

« Les médiathèques comme lieux de résidences d'écrivains est un phénomène assez récent, lié à leur mutation en lieux de vie. Les bibliothécaires réfléchissent à leur mission d'éducation culturelle pour tous, et dans de nombreux endroits, les bibliothèques sont le seul lieu culturel accessible », analyse Hélène Glaizes, qui a dirigé avec Claire Castan le guide Organiser des résidences artistiques et littéraires en bibliothèque (Presses de l'Enssib).

Pour le 250e anniversaire de l'ouverture de la bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne au public, sa directrice Laurence Bobis voulait « montrer notre ouverture, notre inscription dans la société et la création ». Accueillir l'écrivaine Claudine Galea était aussi l'occasion d'acheter, en accord avec l'invitée, de la littérature contemporaine, « un domaine où il n'est pas si facile de choisir », considère la directrice, qui tenait également à toucher tout le personnel. Claudine Galea proposait justement de les interviewer pour écrire son œuvre. « Elle nous a aussi mis en lien avec un lycée de Bobigny, ce qui a été extrêmement enrichissant. »

 

Pendant sa résidence d'avril à novembre à la bibliothèque de Rivière-des-Prairies de Montréal, Aimée Verret proposait notamment des ateliers d'écriture.- Photo ANNIE GOULET


Une résidence fructueuse est celle où les bibliothécaires s'attachent les usagers et les partenaires (écoles, maisons de retraite...). Ce qu'Aurélien Bellanger a apprécié dans sa résidence à la BNF, en 2019 : « J'avais accès à ce que je voulais, j'ai rencontré la personne qui s'occupe des imprimés anciens et des livres rares, visité la galerie de peinture normalement invisible », détaille l'auteur, inspiré par cette expérience pour son prochain roman.

La présence, au printemps, de Jérémie Fischer à Tours, a également provoqué des rencontres fécondes. « Il a mené un atelier parent-enfant dans une médiathèque en zone sensible. Après, on a organisé une carte blanche dans la librairie et il y a eu quatre familles de cité qui sont venues le revoir. C'est un petit truc qu'on a réussi », se réjouit Rachel Chéneau de la Librairie Libr'enfant, qui a créé une résidence avec les bibliothèques de Tours. L'idée : inciter les habitants à visiter les différentes médiathèques du territoire pour suivre l'auteur en itinérance. « Les gens sont capables de se déplacer pour un concert, alors pourquoi pas pour aller voir un artiste en résidence ? »

Des lieux et professionnels singuliers

Un des attraits des médiathèques pour le public, c'est leur gratuité. Et pour les auteurs ? « Une bibliothèque touche un large public, c'est un espace de découverte et de formation qui me stimule - je lis plein de livres sur les sujets que j'aborde dans mon travail - et puis les personnes s'inscrivent volontairement aux activités, donc sont motivées », justifie Aimée Verret, poète et autrice jeunesse en résidence à Montréal. Elle mentionne aussi les affinités créées avec les bibliothécaires. L'un est toujours présent pour épauler l'autrice de bande dessinée Chloé Wary lors des ateliers qu'elle donne à Villetaneuse (Seine-Saint-Denis). Ils la font également profiter de leur réseau, en jouant les entremetteurs entre l'artiste et les usagers qu'ils connaissent bien, comme les personnes âgées à qui ils portent les livres jusqu'au domicile. Le but de Chloé Wary est d'atteindre un maximum d'habitants.

Critères et financement

C'est pourquoi les organisateurs ont choisi une illustratrice. « Nous voulions toucher un plus large public. Et comme on travaille sur l'égalité femme-homme dans les établissements publics de Plaine Commune, on a cherché une illustratrice », renseigne Marie Bavay, responsable des actions culturelles et éducatives à la médiathèque de Villetaneuse. Les hôtes cherchaient ensuite un auteur peu renommé, pour lui donner un coup de pouce. Côté pratique : toutes les médiathèques du réseau avaient déjà sa dernière BD, Saison des roses. Dernier critère : une artiste de la région, en l'absence de budget logement. Chloé Wary touchera du département 15 000 € sur dix mois, pour vingt interventions. Le réseau et la Ville dégagent chacun 5 000 €, afin d'acheter des ouvrages, du matériel pour les ateliers (feuilles, papier, crayons, feutres), prévoir les frais de communication (tracts), de bouche (le buffet inaugural) et rémunérer les intervenants extérieurs (photographes, réalisateurs, monteurs, preneurs de son...). « Il existe de nombreuses aides, du département, de l'État, du CNL... Et il n'y a pas forcément besoin de beaucoup de moyens », précise Hélène Glaizes. À Tours, pour deux mois et demi, les huit médiathèques ont rassemblé 5 000 €, l'agence régionale du Centre-Val de Loire pour le livre, l'image et la culture numérique (Ciclic) 7 000 € et la librairie 2 000 € pour atteindre 14 000 €. La Ville de Tours offrait l'hébergement. « On fait une résidence tous les deux ans, car c'est lourd à porter », avertit Rachel Chéneau. « Chaque projet est unique, prend du temps à se peaufiner et à s'organiser », abonde Clémence Hedde, coordinatrice de la Vie littéraire au Ciclic Centre-Val de Loire.

Des conseils ? « Rencontrer l'auteur avant de décider si on va travailler avec lui, parce que si c'est un con, ça risque d'être pénible », abrège Rachel Chéneau. « Nous encourageons les candidats à visiter la bibliothèque qui les intéresse, à se renseigner sur les usagers - y a-t-il beaucoup d'immigrants, de personnes âgées, d'enfants ? Est-ce un quartier défavorisé ou cossu ? énumère l'Union des écrivaines et écrivains québécois (Uneq). Et à impliquer le personnel de la bibliothèque. Ça fait toute la différence. »

Uzès (Gard) réfléchit à espacer ses deux résidences de mars et de juin. « Nous les organiserions plutôt en mars et en octobre, pour nous laisser le temps de faire un debriefing et de préparer la suivante », pointe Cécile André, coordinatrice de ce réseau de 17 bibliothèques. Après le départ des artistes Lagueux et L'Ecuyer qui avaient réalisé des installations sur les livres jamais empruntés, les bibliothécaires de Terrebonne, à Montréal, se sont réapproprié leur œuvre. « On s'est dit qu'on pourrait refaire les ateliers sans Chloé Wary, en autonomie », rejoint Marie Bavay, à Villetaneuse. Mais elle compte bien la réinviter. Une résidence peut durer des années.

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