Cela se passe quelque part dans une ville quelconque de la province française, où Guillaume Siaudeau ne donne pas envie d’habiter. Joe, équarrisseur dans un abattoir, métier qui s’exerce chez lui de père en fils, traîne son mal-être, plus une maladie qui l’oblige à aller subir chaque semaine à l’hôpital des perfusions. Cette dernière lui permet de revoir Joséphine, quand elle est de service, l’infirmière dont il est un peu épris. Il traîne surtout un profond dégoût du sang, de la souffrance qu’il inflige aux animaux. Vaches, porcs, moutons. Il aurait pu devenir végan, c’est très tendance. Mais il opte pour une solution plus radicale, comme un grain de sable qui se glisse dans la machine laborieuse : il vole un camion lesté de six vaches condamnées, leur sauvant la peau, et s’enfuit en cavale, direction la montagne. Dans cette folle équipée, il emmène avec lui son seul ami, Sam, un gamin orphelin placé chez de méchantes gens. Lesquelles s’empressent d’appeler la police.
Une traque s’organise, un avis de recherche ayant été lancé. Les pandores que Guillaume Siaudeau ne porte pas dans son cœur, à la manière un peu anar d’un Brassens, effectuent d’abord mollement leurs contrôles routiers. Mais peu à peu l’étau se resserre. Jacques, l’ami d’enfance de Joe, chez qui les deux fugitifs ont passé une nuit, est arrêté, interrogé, relâché après être resté bien évasif. Robert, lui, un vieux bonhomme veuf qui habite dans une cabane, s’engage résolument aux côtés de Joe et Sam : il les héberge, les nourrit, les cache, et aidera l’ancien équarrisseur à s’échapper le moment venu. C’est aussi lui qui prendra soin des vaches et de Sam. Car, pour cette dernière étape que l’on pressent dramatique, Joe sera seul face à son destin, à la société incarnée par la police, son bras armé.
Conçu en trois actes, Pas trop saignant est une tragédie douce-amère, dans laquelle un être humain se révolte contre ce qui l’opprime et le fait souffrir, se réfugiant dans une marge où seuls comptent les sentiments vrais, la fraternité des humbles et des faibles. On se doute que Joe ne peut pas gagner, mais on se prend d’affection pour ce "working class hero" d’un thriller social, servi par une écriture à la fois poétique et tendue. Avec ce troisième roman, le jeune Guillaume Siaudeau, animateur de la revue de poésie Charogne, confirme le talent de Tartes aux pommes et fin du monde et de La dictature des ronces, parus chez Alma en 2013 et en 2015. Jean-Claude Perrier